Le Monde.fr | 25.07.2013 à 11h58 • Mis à jour le 25.07.2013 à 14h21 | Par Pierre Le Hir
Oui aux énergies vertes… à condition qu’elles ne plombent pas l’économie française. C’est, en substance, la teneur du rapport sur « La politique de développement des énergies renouvelables » présenté, jeudi 25 juillet, par la Cour des comptes.
Une semaine après la clôture du débat national sur la transition énergétique, qui s’est achevé sur un constat de désaccord profond entre les parties prenantes, ce document donnera du grain à moudre aux partisans des filières renouvelables comme aux défenseurs du modèle énergétique français, où le nucléaire est en première ligne.
Les premiers retiendront qu’il n’est pas question de « relâcher l’effort » dans ce secteur. Les seconds, que « les choix de long terme » doivent être « soutenables », dans une période où « l’accent doit être mis avant tout sur les économies budgétaires et sur la compétitivité de notre économie ».
OBJECTIFS « DIFFICILES À ATTEINDRE »
En matière d’énergies renouvelables, la France s’est fixé des objectifs « ambitieux » qui seront « difficiles à atteindre », note la Cour des comptes. En 2011, celles-ci représentaient 13,1 % de la consommation finale d’énergie, soit un peu plus de la moitié des 23 % qui devront être atteints en 2020 (l’objectif de l’Union européenne n’étant que de 20 %). La France figure ainsi « en bonne position par rapport à ses voisins européens », l’Allemagne étant à 12,3 %, l’Italie à 11,5 %, la Belgique à 4,1 % et le Royaume-Uni à 3,8 %, même si l’Espagne, avec 15,1 %, la devance.
« Pour autant, écrivent les rapporteurs, les premiers retards enregistrés dès 2011 dans la production d’énergies de sources renouvelables et le niveau des efforts à fournir pour atteindre les objectifs fixés en 2020 éloignent la perspective de les atteindre. » En effet, « les suppléments de production à réaliser dans les secteurs de l’électricité et de la chaleur renouvelables entre 2011 et 2020 représentent six et sept fois ce qui a été respectivement réalisé entre 2005 et 2011 ».
« CONJONCTION DE DIFFICULTÉS »
L’essor des filières vertes, analyse la Cour des comptes, se heurte à « une conjonction de difficultés ». D’abord, « des coûts de production élevés », qui obligent les pouvoirs publics à les soutenir par « un système de soutien complexe et d’efficacité variable », qu’il s’agisse d’aides à l’investissement, de garantie d’achat ou d’incitations fiscales.
Ensuite, le cadre juridique est « instable et contesté ». Sur le plan réglementaire, souligne la Cour, « les objectifs parfois contradictoires des politiques de l’énergie, de la protection de l’environnement et de l’urbanisme compliquent et fragilisent le droit encadrant le développement des énergies renouvelables, ce qui favorise les contentieux et freine les projets ». L’Etat n’est pas exempt de reproches, pour n’avoir « pas su adapter son organisation, ce qui nuit à la visibilité et au pilotage de l’ensemble ».
Or, de façon générale, les filières industrielles des énergies renouvelables sont « encore fragiles », juge la Cour des comptes. La filière photovoltaïque est « en mauvais état », l’éolien en mer est « un pari industriel risqué », les grands projets de cogénération « déséquilibrent les marchés locaux ». Cela, pour un impact sur l’emploi qualifié de « modeste », avec un total de 93 000 emplois directs, dont environ 32 000 dans le solaire, 24 000 dans la biomasse, 14 000 dans les pompes à chaleur, 11 000 dans l’hydraulique, 10 000 dans l’éolien et 1 000 dans la géothermie.
COÛT TRÈS ÉLÉVÉ
Dans ce contexte – c’est la partie la plus sensible et la plus sujette à polémique du rapport –, la Cour estime que « le coût croissant du soutien au développement des énergies renouvelables conduit à s’interroger sur sa soutenabilité sur le long terme ».
Entre 2005 et 2011, chiffre-t-elle, « l’ensemble des coûts publics de la politique de soutien aux énergies renouvelables – dispositifs fiscaux, fonds chaleur, recherche et développement, charge de service public de l’électricité [la contribution au service public de l’électricité (CSPE), supportée par les consommateurs pour compenser le surcoût de l’électricité d’origine renouvelable] – ressort globalement estimé à 14,3 milliards d’euros ». A elle seule, précise la cour, « la filière solaire a coûté 3,6 milliards d’euros, alors qu’elle constitue seulement la quatrième source d’énergies renouvelables ».
Au final, conclut le rapport, « le coût du soutien aux énergies renouvelables est donc très élevé sans que celui-ci ait apporté, jusqu’à présent, les retombées socio-économiques attendues ».
« FAIRE DES CHOIX »
Pour autant, la Cour des comptes ne condamne pas les filières renouvelables. « Il ne s’agit pas de relâcher l’effort, mais de le rendre plus cohérent et plus soutenable dans le long terme », écrit-elle. C’est-à-dire de « faire des choix » et d’arbitrer entre les filières, afin de « réserver le soutien à celles qui peuvent le mieux contribuer à atteindre les objectifs ». Cela, tout en recherchant « une meilleure cohérence dans l’organisation et l’action de l’Etat », qui doit aussi « lever les verrous juridiques et administratifs ».
Replaçant les renouvelables dans le mix énergétique global, la Cour des comptes ne manque pas de rappeler, en conclusion, le bénéfice que tire la France de son parc de 58 réacteurs électronucléaires – qui lui assurent une électricité meilleur marché que celle de ses principaux voisins et réduisent ses rejets de gaz à effet de serre. Mais elle souligne aussi l’avantage économique que tirent certains pays, notamment les Etats-Unis, de l’exploitation des huiles et gaz de schiste. Même si, précise-t-elle, « il ne [lui] revient pas de se prononcer sur les méthodes employées pour les extraire ».
Cette mention, dans un rapport consacré au développement des énergies renouvelables, des hydrocarbures non conventionnels, ne pourra qu’apporter de l’eau au moulin du Medef qui, lors du débat sur la transition énergétique, en a fait un cheval de bataille.
Lire : « Le Medef refuse les conclusions du débat sur la transition énergétique »
Plus généralement, même si les promoteurs des énergies vertes pourront lire dans ce rapport un invitation à poursuivre leur développement, les industriels, eux, y verront surtout un sévère avertissement sur leur coût pour « les finances publiques, le pouvoir d’achat et la compétitivité économique ».
Pierre Le Hir