Suite au dossier du journal Le Ravi ou un élu socialiste de la CUM qualifie l’eau de « Marchandise » QcM publie la réaction de : Jean-Christophe MASSÉ (suite de sa première contribution au débat sur l’eau : Contribution Massé) . Prochains articles sur le sujet réactions de Roger Pythéas et JC Cheinet, responsable associatif.
« Dans un monde ou tout est devenu marchandise, on peut naturellement se laisser emporter par le courant et dire que l’eau est une marchandise. Et c’est vrai qu’en première analyse, l’eau a un prix et chaque abonné-utilisateur d’eau doit payer sa facture.
Mais, faut-il considérer que tout ce qui a prix est une marchandise ?
Je pense que non !
Pour illustrer mon propos, je ferais un parallèle avec une greffe d’organe, par exemple celle d’un cœur. L’intervention chirurgicale, la greffe du cœur, a un coût et donc un prix. En France, en simplifiant, ce prix est assumé par le bénéficiaire, plus précisément en partie par son assurance, l’assurance maladie, et en partie par sa mutuelle s’il en a une.
Pour autant le cœur utilisé n’est pas une marchandise. Il est le résultat d’un don. Au sens économique il est donc gratuit. Ce qui est facturé, ce n’est pas le cœur mais l’intervention chirurgicale.
Ce parallèle est certes osé, mais il a le mérite de bien marquer que la question est avant tout une question de société, une question d’éthique et de philosophie et non une simple question d’économie.
Il peut exister une société dans laquelle un cœur à un prix, un poumon aussi, un rein…
Des économistes libéraux, notamment ceux dits de l’école de Chicago, sont pour la marchandisation du corps humain (Gary BECKER) comme ils sont aussi pour la légalisation de la prostitution et de toutes les drogues, qu’elles soient dites « douces » ou « dures » (Milton FRIEDMAN).
Le fonctionnement de cette société n’est alors plus fondée que sur une seule morale, celle du marché, celle de l’offre et de la demande, celle de l’argent.
On est bien loin des valeurs humanistes issues de la philosophie du siècle des lumières, des droits de l’homme, qu’il s’agisse des droits politiques déclarés en 1789 ou des droits sociaux reconnu au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Dans une période troublée, où les repères philosophiques et moraux peuvent être perdus dans une brume consumériste, l’avènement d’une société dans laquelle tout est marchandise est possible.
Il me semble que le sens de l’action citoyenne et politique, c’est justement de rappeler et de préserver les valeurs et les fondements de la République Française ; de rappeler et de préserver le service public ; de rappeler et de préserver l’intérêt général.
Pour en revenir à l’eau, on n’achète pas l’eau. Elle est gratuite ; pour l’essentiel, elle nous vient du ciel et elle y retournera.
Ce que l’on achète, ce n’est pas l’eau, mais le coût du traitement de l’eau et le coût d’un réseau qu’il a fallu construire pour l’amener jusque chaque point de distribution, qu’il s’agisse d’un domicile ou de la fontaine publique sur la place d’un village provençal.
Qui plus est, l’eau n’est pas un bien comme les autres : la plus grande part de chacun de nous est de l’eau, de l’eau que nous avons bue.
Non l’eau n’est pas une marchandise. C’est mon opinion.
Pour sa part, la Loi française qualifie l’eau de « bien commun de la Nation » (article L.210-1 du code de l’environnement) :
« L’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général.
Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous.
Les coûts liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs en tenant compte des conséquences sociales, environnementales et économiques ainsi que des conditions géographiques et climatiques. »
Bien sûr, il y en aura toujours me répondre que l’eau peut être à la fois une marchandise et « bien commun de la Nation »
Faire cette réponse, c’est déjà avoir renoncé, avoir rendu les armes et accepté, non pas l’économie de marché, mais la société de marché. L’idée se conçoit. Mais ce n’est pas dans c’est société que je souhaite que mes enfants grandissent.
C’est pourquoi, je refuse de considérer l’eau comme une marchandise, de considérer que le marché puisse gouverner tous les rapports sociaux, de considérer que notre société ne se compose que de consommateurs.
C’est pourquoi je défends l’eau comme « bien commun de la Nation » ; je défends l’existence de services publics ; je défends l’idée d’un intérêt général qui dépasse les intérêts particuliers. »