Sur la loi travail : rencontre débat à la fête de la Citoyenneté
(Réunion P.C.F., 13 07 2017)
Contribution de Bernard LAMIZET
- Significations du travail
Le travail revêt plusieurs significations qui donnent du sens à la législation qui le régule. D’abord, il s’agit de l’activité par laquelle s’exprime et se construit l’identité professionnelle des salariés. Ensuite, il s’agit d’une part majeure de la vie des salariés ; cela explique qu’il existe des règles concernant la formation, la rémunération et les questions de prévention médicale, de prévention des risques et de congés. Enfin, il s’agit de la façon dont les salariés, comme acteurs économiques, concourent à la production de la richesse de leur pays.
- Nécessité d’un code du travail et menaces sur le code
Le code du travail est destiné à fixer les règles que doivent observer les employeurs et les salariés à la fois en termes de durée du travail, en termes de formation, en termes de modes du travail (par exemple les questions de pénibilité) et en matière de protection des salariés. Par ailleurs, le code du travail inscrit le travail, comme les autres pratiques sociales, dans le champ des activités faisant l’objet d’institutions et de lois. Enfin, l’importance du Code du travail explique qu’il importe d’être attentif aux menaces qui pèsent sur lui, en particulier quand des ministres viennent expliquer que le code du Travail est là pour causer du tort aux entreprises, en oubliant que le rôle d’un gouvernement est de protéger les salariés et d’assurer une médiation entre eux et les employeurs.
- Les logiques de la réglementation du travail
Trois logiques permettent de penser la réglementation du travail : les logiques économiques, qui organisent le travail dans le champ des activités des acteurs économiques et des entreprises dans la croissance d’un pays ; les logiques de protection des salariés et d’arbitrage dans les conflits et les tensions entre employeurs et salariés ; les logiques de formation et de qualification qui structurent l’identité professionnelle des acteurs du travail, en particulier des salariés. La « simplification » de ce que l’on appelle le « compte pénibilité » s’inscrit dans la logique de la dérégulation des conditions de travail et de l’accroissement de la liberté des chefs d’entreprise dans la pression qu’ils peuvent exercer sur les salariés.
- Les transformations liées à la loi El-Khomri et à la refonte du Code du Travail
Cinq évolutions majeures sont à noter.
La première est la réduction des échanges, des dialogues et des concertations entre employeurs et salariés au cadre des entreprises, au lieu de leur organisation par branche, ce qui fragilise les salariés et réduit leur mode d’intervention et d’argumentation, et, surtout, cela accroît le pouvoir des chefs d’entreprise dans ces échanges en réduisant celui des organisations syndicales. La fusion des instances représentatives du personnel dans les entreprises s’inscrit dans cette logique.
La deuxième est l’accroissement de la précarisation des emplois et des salariés et la diminution de la reconnaissance des droits liés aux identités professionnelles. Cette précarisation de manifeste notamment dans l’introduction du contrat de projet, qui, dans le champ de la distinction entre C.D.I. et C.D.D., introduit une forme de « C.D.I. à durée déterminée » : il s’agit d’une durée déterminée, puisque la durée de l’emploi est liée à la durée d’une mission ou d’un projet, mais la détermination de cette durée n’est plus fixée, puisqu’elle se fonde sur une forme d’imprévisibilité de la durée de la mission.
La troisième évolution à noter est la diminution du rôle de protection de l’État et des pouvoirs publics dans les relations entre employeurs et salariés et la diminution de son rôle d’arbitre et de médiateur. Sans doute, à cet égard, la réduction des délais de recours en cas de litige et la modification du statut des prud’hommes s’inscrivent-elles dans le cadre de cet amoindrissement du rôle de l’État dans les relations entre entreprises et salariés.
Par ailleurs, les réglementations en cours d’élaboration se caractérisent par l’absence de débat politique, puisqu’il s’agit d’une législation par ordonnances échappant au débat politique se signalant par l’absence de publication des projets de réglementation en cours d’élaboration, autre façon de les faire échapper au débat.
Enfin, il est important de noter que, sous couvert d’une protection de l’emploi, cette législation conduit, en réalité, à l’accroissement de la précarité des emplois par la libéralisation des pouvoirs des entreprises en matière de licenciement et par la diminution des garanties offertes par les contrats de travail.
- Les argumentations à opposer
On peut opposer à tout cela quatre modes d’opposition.
D’abord, il s’agit d’une dénégation de près d’un siècle d’histoire des échanges et des confrontations, mais aussi des évolutions de la législation du travail, en particulier depuis le Front populaire.
Par ailleurs, on peut opposer à la règlementation en cours d’élaboration qu’elle réduit les droits des salariés sans accroître la sécurité de leur emploi : l’argumentation fondée sur la protection des emplois est un leurre, car rien ne vient garantir l’emploi dans les politiques mises en œuvre par le gouvernement : une fois de plus, l’emploi est seulement un argument de légitimation.
D’autre part, il importe d’opposer à cette législation en cours d’élaboration l’absence de concertation réelle avec les organisations représentatives, politiques et syndicales.
Enfin, on peut opposer à cette réglementation l’absence de prise en considération des spécificités des professions et des activités professionnelles et l’absence de réflexion et de régulation sur les espaces et sur les temps de travail, ce qui est une régression par rapport aux législations en vigueur.