Conséquence de la baisse du fret ferroviaire : plus de 300 locomotives « pourrissent » à la gare de triage de Sotteville-lès-Rouen
332 machines sont à l’arrêt, dont 164 considérées comme neuves et occupent 12 voies de stockage, ce qui correspond au total à une longueur de 6,5 kilomètres (SIPA)
Ce sont plus de 200 millions d’euros, payés par le contribuable, qui pourrissent sur des voies de garage de Sotteville-lès-Rouen… En passant par le très fréquenté boulevard industriel de cette ville de Seine-Maritime, on ne peut pas les rater : sur le pont de Quatre-Mare, qui surplombe la plus grande gare de triage française, on est forcément attiré par ces longues files de locomotives, stockées depuis des mois sur les voies de chemin de fer. « Il n’y en a jamais eu autant », témoignent les employés d’une société de location de matériel qui ont, juste en face, une vue imprenable sur ce désolant spectacle, cet étrange cimetière de locos encore en vie. Au dernier comptage effectué cette semaine, 332 machines sont à l’arrêt, dont 164 considérées comme neuves. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs été récemment restaurées, réparées dans les ateliers Sottevillais, d’autres sont quasi neuves, donc bonnes pour le service, pour 30 ans au moins
Attelées les unes derrière les autres, ces machines « diesel » et « diesel électrique » occupent 12 voies de stockage, ce qui correspond au total à une longueur de 6,5 kilomètres. Et chaque semaine, les 12 files s’allongent, au grand désespoir des cheminots qui, en un an, ont vu l’activité fret ferroviaire se réduire inexorablement. « Une machine comme ça coûte entre 1,5 et 2 millions d’euros », souligne Grégory Laloyer, de la fédération CGT-Cheminots. « Si vous considérez que pour certaines d’entre elles il y a un peu de vétusté, ce sont plus de 200 millions d’euros, payés par le contribuable, qui pourrissent ici. Quel gâchis ! Quel scandale ! ». Car si les locos les plus anciennes sont vouées à prendre racine dans ce cimetière improvisé, si certaines sont vouées à la destruction – « même si elles peuvent encore dépanner », reprend Thierry, technicien de maintenance de ces machines –, les autres pourraient être transférées vers des régions en manque de moyen. « Et notamment en région Paca où la SNCF manque de machines et doit régulièrement suspendre des lignes. Ici, 80 % des machines stockées sont polyvalentes, c’est-à-dire qu’elles peuvent aussi bien tracter des wagons de marchandises que des wagons passagers », ajoute Grégory Laloyer.
Déclin du fret
Mais non, bien au contraire, elles sont sur voie de garage, offertes aux taggeurs et aux vandales qui viennent régulièrement voler le cuivre, le câblage, les éléments recyclables… Pour tous les cheminots de cette immense zone de fret, pour les nombreux amoureux de tout ce qui touche au rail, ce spectacle est insoutenable d’autant que les bruits de couloir poussent les syndicats à révéler que d’ici peu, ce sont près de 600 machines qui seront stockées à Sotteville-lès-Rouen. Une situation qui émeut aussi Pierre Bourguignon, le député maire PS de cette ville qui a récemment rencontré les cheminots pour leur apporter son soutien. Il a dénoncé, dans un courrier adressé fin janvier à Nathalie Kosciusko-Morizet, la ministre de l’Ecologie et des Transports, « le démantèlement de l’outil de travail qui a commencé avec la fin du tri par gravité en avril 2010, ayant pour conséquence de laisser nombre de matériels, roulants et non roulants, à l’abandon ». Pour les syndicats, ce cimetière de locomotives est la face visible d’une activité en plein marasme : la part du fret ferroviaire a, au cours des dix dernières années, chuté de moitié, entraînant une baisse des effectifs.
Riposte annoncée
La grogne monte donc à Sotteville-lès-Rouen, mais aussi dans les triages de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) ou de Miramas (Bouches-du-Rhône) où, là aussi, le volume de travail décroît chaque jour. « Et c’est là où nous interpellons aussi la ministre », reprend Grégory Laloyer. « Car l’objectif annoncé lors du Grenelle de l’environnement était de porter, d’ici à 2022, à 25 % le volume des marchandises transportées en mode fluvial ou ferroviaire. Ce sera difficile de l’atteindre car aujourd’hui Fret SNCF, filiale de Geodis, préfère privilégier sa branche camion au détriment du ferroviaire. » A Sotteville-lès-Rouen, qui fut pendant des années l’une des gares de triage les plus modernes d’Europe, les syndicats préparent donc la riposte avec plusieurs actions prévues dans les prochains jours. Car personne n’a oublié qu’ici, dans les années 1980, ce sont quelque 2.000 wagons qui, chaque jour, transitaient sur cette zone. Aujourd’hui, il n’en passe qu’une dizaine, à quelques mètres de ces interminables files de locomotives que la rouille souille un peu plus chaque jour.
Le fret en chute libre
Selon les chiffres de la direction et des syndicats, l’activité fret de la SNCF au niveau national est passée de 55 milliards de tonnes-kilomètres à 26 milliards ces dix dernières années. Et entre 2008 et 2010, les effectifs dédiés à ce secteur sont passés de 14.933 à 11.793, affirment les syndicats