A Marseille, profitant de la Journée mondiale de l’eau, les militants de la coordination Eau Bien Commun sont allés à la rencontre de la population pour parler service public, régie directe… et faire signer les pétitions.
« Le premier objectif de notre action est un retour en gestion publique des eaux de Marseille et des villes de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole. Nous ne voulons pas que la distribution d’eau soit encore confiée à la SEM qui contrairement à ce que laisse penser son intitulé n’est pas une société d’économie mixte, mais la Société des eaux de Marseille, filiale de Véolia ». Antoine Richard, membre du collectif Eau Bien commun Paca, prend le micro hier à midi devant les Docks, quartier d’affaires de Marseille. Durant la matinée, les militants ont sillonné les marchés pour informer les gens et leur faire signer la pétition de retour à la gestion publique. A midi tout le monde se retrouve aux Docks pour une dernière séance de signatures avant de se rassembler symboliquement à 14h devant les bureaux de la SEM (1).
Le message à faire passer est complexe
même si les réactions spontanées à la formule « L’eau est un bien commun » sont globalement positives. « Le combat est difficile car il s’agit d’une question de fond à traiter avec une échéance rapprochée », reconnaît Jacques Masson, autre membre de la coordination. Cette échéance est le renouvellement des Délégations de service public (DSP) pour la distribution et l’assainissement de l’eau. De nombreux contrats liant des villes de la CUM à la SEM ou la Seram arrivent en effet à échéance en 2012 et le président de la Communauté urbaine, Eugène Caselli (PS) a annoncé prendre une décision de principe (retour en régie publique ou poursuite des DSP) en avril prochain.
Le travail de coordination se fait donc à destination de la population mais aussi des élus. Certains ferraillent sérieusement à leur niveau. « Le groupe communiste de la CUM et de la ville de Marseille a signé l’appel », assure ainsi l’un d’entre eux Christian Pellicani, « et nous demandons un retour à une gestion publique. Nous organisons aussi des réunions sur la question impulsée par des élus car ces derniers doivent s’impliquer et ne pas tenir deux langages ». Idem pour les Verts qui ont lancé une contre-expertise sur les deux délégations en cours, « où l’on voit que les bénéfices servent essentiellement à la rémunération des actionnaires et ne sont pas réinvestis dans l’entreprise ni utilisés pour la recherche », synthétise Sébastien Barles, porte-parole d’Europe écologie-Les Verts. Quant au parti socialiste, il a impulsé en février dernier un débat interne sur la question avec la volonté de se prononcer « par un vote politique avant avril 2011 ». C’est ce qui a motivé une lettre ouverte de la coordination, demandant à être auditionnée dans le cadre de ce débat.
Tous n’ont pas la même idée de la forme que pourrait prendre une reprise en main publique. Le PCF prône « une société publique locale, SPL, qui permettrait notamment de répondre aux craintes des salariés de la SEM », expose Christian Pellicani. Une option qui provoque des craintes chez d’autres, cette SPL de droit privé pouvant sous-traiter avec des entreprises privées, de voir les multinationales virées par la porte, revenir par la fenêtre.
« Il y a une peur des élus », reconnaît Philippe Michaud, militant à la coordination. « Ils craignent de lâcher un système où quand on ouvre le robinet, l’eau coule, une eau qui n’est pas empoisonnée. Il n’y a donc pas de problème citoyen de base même si cela ne prend pas en compte la question de la précarité ni les effets pervers d’un système qui ne peut pas être vertueux ». Pour ce simple citoyen extrêmement averti, les choses sont cependant simples : « Quand on délègue à une DSP, on perd toute la culture technico-financière qui permet de garder la maîtrise du sujet qu’on délègue. En plus, on se retrouve face à des groupes financiers ayant une grande technicité à tous les niveaux. Comme les enjeux sont énormes, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Par ailleurs, proposer des premiers mètres cubes gratuits ou des tarifs dégressifs pour inciter à un comportement responsable ne peut pas être dans les gènes d’une DSP. Cela ne peut être qu’un choix politique ».
Inquiétude des élus, réticences des salariés concernés, problème de technicité… Tout ceci doit aussi composer avec l’offensive des grands groupes. Ces derniers ont perçu qu’une partie de l’opinion publique leur est défavorable d’où une riposte sur les créneaux citoyens. Ainsi la Lyonnaise des eaux, filiale de Suez Environnement, qui vient de communiquer sur une tarification progressive de l’eau distinguant « eau vitale », « eau utile » et « eau confort » et pointant que la rémunération des opérateurs au volume d’eau vendu est un « non-sens ».
« Ce débat ne fait que s’ouvrir, conclut Christian Pellicani, et quelle que soit la décision prise par la CUM en avril prochain, la question sera largement abordée au Forum alternatif mondial de l’eau. Comme le prouve un rassemblement sur la question d’ores et déjà programmé à Martigues en mars 2012 ». Car le deuxième objectif de la coordination est effectivement de préparer ce contre-point au Forum mondial de l’eau qui se déroulera à Marseille en 2012. « Il est organisé par le Conseil mondial de l’eau qui semble avoir une légitimité institutionnelle, précise Antoine Richard, mais il n’en est rien. Ce n’est qu’un marché de l’eau. Et c’est cette confusion des genres qu’il faut combattre »
(1) Le collectif Droit des femmes a orga-nisé un café des femmes à 18h pour aborder la question d’un point de vue
genéral.
Reportage Angélique Schaller
Photos : Robert Terzian
et Xavier Aujoulet