La délégation de service public Pour unique horizon
Par Jean-Christophe MASSÉ
Le choix du mode de gestion des services publics de l’eau et de l’assainissement sur le territoire de la communauté urbaine a été fait. Ce sera la Délégation de Service Public (DSP). Une fois voté, ce choix devient démocratiquement légitime et juridiquement fondé. La démocratie n’a pas besoin d’unanimité pour fonctionner.
Cependant, la démocratie, fut-elle locale, a besoin du débat démocratique. Un débat démocratique qui s’appuie sur des échanges idées et le respect mutuel des débatteurs qu’ils soient élus ou simples citoyens.
Vendredi 8 juillet prochain, le débat sur le choix du mode de gestion des services publics de l’eau et de l’assainissement à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole répondra-t-il à cet impératif démocratique ?
A la lecture des 2 projets de délibération actant le choix de la délégation de service public, il est possible d’avoir des doutes. Ma conviction est que, à l’image d’une instruction judiciaire à charge, l’analyse des différents modes de gestion possible a été réalisée à charge contre le retour à une gestion publique, pour le choix de la délégation de ces services publics au privé.
Je ne vais pas me contenter d’asséner ma vérité sur ce sujet, je vais essayer de vous convaincre de la justesse de ma conviction.
Plantons tout d’abord le décor, les délibérations et le raisonnement qui fonde le choix de la DSP :
Les délibérations
2 projets de délibération pour choisir la DSP, une pour l’eau, une pour l’assainissement ;
Tous 2 sont structurées de la même façon :
un exposé des motifs qui présente les raisons qui ont conduit au choix ;
- un délibéré composé de plusieurs articles qui déterminent juridiquement les choix ;
- un rapport de présentation qui détaille l’analyse qui a fondée les choix.
L’exposé des motifs n’a pas de valeur juridique, à la différence du délibéré et du rapport de présentation. Je précise ce point qui aura un sens dans la suite de mon propos et, le cas échéant dans plusieurs mois ou plusieurs années, en cas de contentieux.
Le raisonnement qui fonde le choix
Le raisonnement complet figure dans le rapport de présentation annexé à la délibération. Il est résumé dans l’exposé de motif. L’éventail des modes de gestion possible est présenté. Pour MPM, il y en a 8. Dès le début du rapport, Mme VASSAL et M. M. CASELLI signataires des rapports soumis à la délibération du Conseil de Communauté, proposent d’écarter 5 des 8 formules qu’ils jugent « non pertinentes ou juridiquement inenvisageables ». Il s’agit de :
La régie directe ;
- La gestion déléguée de type régie intéressée ;
- La gestion déléguée de type concession ;
- La Société Publique Locale (SPL) ;
- La Société d’Economie Mixte (SEM).
Seuls 3 modes de gestion sont effectivement analysés :
Gestion directe avec autonomie financière, avec ou sans personnalité morale ;
- Gestion directe avec marché de prestation global ;
- Gestion déléguée de type affermage.
Je n’évoquerai pas aujourd’hui l’analyse comparée de ces 3 modes de gestion considérés comme seuls possibles. La qualité douteuse de cette analyse mérite un traitement spécifique. Ce à quoi je souhaite m’attacher aujourd’hui, consiste plutôt à décrypter le sens profond des exclusions prononcées par Mme VASSAL et M. CASELLI
L’exclusion de la régie directe : la bataille des idées commence par la bataille des mots
Il est écrit dans l’exposé des motifs de la délibération : « La régie directe n’étant pas envisageable pour un SPIC (service public industriel et commercial) ». En clair, la solution n’est pas pour eux juridiquement envisageable.
Cette affirmation semble particulièrement surprenante : il ne serait pas possible de faire une régie directe. Curieux, mais admettons et poursuivons.
Plus loin dans la délibération, précisément à l’article 3 du dispositif juridique, il est écrit : « La commune de Plan-de-cuques et la partie villageoise de la commune de Gémenos restent gérées en régie directe avec autonomie financière. »
La confusion est à son comble. Alors, c’est possible ou ce n’est pas possible ?
Eh bien c’est possible. On l’apprend au cœur de rapport de présentation qui lui aussi a une valeur juridique, contrairement à l’exposé des motifs ou il affirmé que c’est impossible. Ainsi page 4, concernant les modes de gestion envisageables, il est écrit, je cite :
« la gestion directe. Celle-ci peut revêtir 3 formes :
la régie simple (fonctionnant comme un service classique de la collectivité) ;
- la régie bénéficiant de l’autonomie financière ;
- la régie personnalisée c’est-à-dire dotée de la personnalité morale. »
Il est précisé que le recours à la régie simple est interdit sauf si une telle régie existait déjà avant 1926.
Pour conclure sur cette interrogation, ce n’est pas la régie directe qui est interdite mais la régie directe dite « simple ». Vous allez me dire que je pinaille, qu’ils ont fait une petite erreur de mot, sans le vouloir, que ce n’est pas grave.
Ce n’est pas mon avis. Dans une époque que l’on pourrait qualifier d’ère de la communication, la sémantique est un élément essentiel. Car, la bataille des mots est indissociable de la bataille des idées.
L’erreur est pour moi intentionnelle. Quel est l’objectif de Mme VASSAL et de M. CASELLI ?
Faire comme si la notion de régie n’existait pas où était impossible. Pour traiter le sujet, ils emploient l’expression « gestion directe » et non le terme « régie ». L’objectif est de décrédibiliser le recours à la régie.
Le terme de « régie » est effectivement connoté et particulièrement associé à la notion d’une gestion publique par opposition à une gestion déléguée au privé. Et ce mode de gestion est crédible. Je prendrais pour exemple récent celui la Ville de Paris. En mettant fin aux délégations de service public de l’eau attribuées à Suez (rive gauche) et à Véolia (rive droite), la Ville de Paris a créé une régie avec personnalité juridique et autonomie financière.
Faire une régie après une délégation de service public, c’est possible. Au-delà de sa dimension technique et économique, c’est aussi et peut-être avant tout un choix politique. Le choix politique de la régie est compatible une grande exigence technique et l’efficacité économique. Pour preuve à Paris la baisse du prix de l’eau au 1er juillet 2011 de 8% par rapport au prix de Suez et de Véolia.
Ce qui vaut pour la régie vaut pour la DSP. Le choix de la DSP peut être, comme je l’ai dit précédemment démocratique et légitime. Il est en revanche hypocrite de ne pas reconnaitre son caractère politique. Le choix des mots n’est jamais innocent.
L’exclusion de la société publique locale : la véritable alternative interdite de compétition
Avant d’aborder la question dans le détail, il me semble nécessaire de dire ce qu’est une Société Publique Locale (SPL). Schématiquement, une SPL c’est une entreprise comme les autres entreprises, sauf que les capitaux ne sont pas privés, mais à 100% publics à la différence des Sociétés d’Economie Mixte (SEM) par exemple où l’on trouve des capitaux publics en majorité et des capitaux privés en minorité.
Pour Mme VASSAL et M. CASELLI, la création d’une société publique locale (SPL) doit être écartée car : « La société Publique Locale, du fait des enjeux soulevés et des difficultés opérationnelles pénalisant sa mise en œuvre dans les délais impartis. »
Cette argumentation n’apparaît pas d’une grande limpidité. Pour reprendre la dichotomie d’analyse des rédacteurs, puisque la SPL n’est pas « juridiquement inenvisageable », il faut donc comprendre que la SPL est « non pertinente » ?
Mais, en quoi « non pertinente » ? Quels sont les enjeux soulevés qui empêchent le recours à la SPL ? Quelles sont les difficultés opérationnelles qui pénalisent sa mise en œuvre dans les délais impartis ?
Plongeons dans le rapport de présentation qui jusqu’à présent s’est révélé plus explicite que l’exposé des motifs.
« Le recours à ce mode de gestion nécessiterait donc au préalable que la Communauté Urbaine décide de s’associer à d’autres collectivités pour la gestion commune du service de l’eau potable. Ce qui soulève l’intérêt d’une telle association.
Une telle association reposerait préférentiellement sur des bases techniques, et notamment sur les collectivités recevant des eaux des mêmes installations de production. Aucun projet de ce type n’est à ce jour envisagé. »
Premier élément de réponse, une lapalissade : on ne fera pas de SPL parce que l’on n’a pas envisagé d’en faire une. Il me semblait pourtant que c’était l’objet même de la délibération, à savoir examiner de manière critique les différentes possibilités et en retenir une. Ce premier élément de réponse est donc totalement insatisfaisant.
Totalement insatisfaisant, mais il convient néanmoins de le mettre en perspective. C’est bien de parler de coopération métropolitaine, d’envisager de coupler la création d’une métropole et celle d’un pôle métropolitain. C’est mieux d’envisager, quel que soit instrument juridique pour y parvenir, les questions qui ont vocation à faire partie de cette coopération et les résultats attendus. L’eau devrait être retenu comme un sujet majeur de coopération métropolitaine voire plus largement régional.
Poursuivons l’argumentaire déployé par Mme VASSAL et M. CASELLI.
« En outre, il est rappelé que les collectivités actionnaires de la SPL engageraient leur responsabilité à hauteur de leur apport en capital conformément aux dispositions en vigueur pour les sociétés anonymes. Elles pourraient être amenées à se porter garantes des emprunts contractés par la SPL. »
Oui et alors ! Les collectivités actionnaires devront constituer dans leur compte des provisions à ce titre. Mais de là à imaginer qu’il existerait un risque, il ne faut pas abuser le citoyen. En France, la gestion de l’eau et de l’assainissement est économiquement une rente. Aujourd’hui les rentiers ce sont Véolia, Suez et dans une moindre mesure la Saur, puisqu’ils détiennent plus des 2/3 du marché de l’eau et de l’assainissement en France. L’argument est sans fondement sérieux.
Dernier argument :
« La définition des missions confiés à la SPL engendreraient enfin plusieurs problématiques :
– Les risques de superposition en matière de gestion financière et comptable du service ;
– Les risques d’interface entre MPM, la SPL et les éventuels autres prestataires privés. »
Cet argument est simplement vide de sens, sauf à reconnaitre que MPM est dans l’incapacité de gérer un contrat de délégation de service public, qu’il soit dit « in house » avec la SPL ou classique en application de la loi Sapin de 1993 codifiée au code général des collectivités territoriales (CGCT).
Il est certes vrai, que le suivi des actuelles délégations de service public d’eau et d’assainissement est loin d’être satisfaisant et même pour aller plus loin, n’est pas conforme à ce que prévoit le CGCT. En se conformant à ce que prévoit le CGCT, MPM découvrira que le suivi de la gestion serait beaucoup plus simple.
Enfin tombe, implacable, la conclusion de Mme VASSAL et de M. CASELLI :
« En l’espèce, aucune raison ne justifie la création d’une SPL, qui n’aurait donc pour conséquence que de complexifier la gestion du service, de plus au moyen d’un instrument juridique encore très nouveau et peu expérimenté. »
Là encore, la conclusion surprend. Très nouveau, certes, puisque la loi créant les SPL date du 31 mai 2010. Mais pour simplifier une SPL, n’est jamais qu’une Société d’Economie Mixte (SEM) à capitaux 100% public. Et l’existence des SEM pour les collectivités territoriales remonte à une loi du 7 juillet 1983. Soit 28 ans !
Il faut d’ailleurs saluer la communauté urbaine de Brest qui, en créant une SPL pour l’eau et l’assainissement, s’est ouvert à la coopération métropolitaine avec d’autres intercommunalités de la pointe ouest de la Bretagne.
Ici, on n’examine même pas sérieusement l’hypothèse. C’est dommage.
La délégation de service public peut être une bonne solution. Pour en apporter la démonstration, il eut été plus sérieux et plus convaincant de ne pas exclure a priori et par principe la principale alternative.