Par Victor Hugo JIJON[i]
L’épidemie du coronavirus, apparue fin décembre 2019 en Chine et puis assez vite propagée en Europe, Corée du sud, Iran, n’est apparue en Amérique latine que le 26 février 2020, au Brésil, sur un patient ayant séjourné en Italie. Cela a mis à rude épreuve les systèmes de santé des pays de cette région forçant les gouvernements à prendre des mesures urgentes de détection précoce et d’isolement en quarantaines préventives obligatoires des personnes contaminées par le Codiv-19 ou en provenance des pays les plus touchés. Les rassemblements sportifs, festifs ou concerts on été supendus; les frontières progressivement fermées, les vols internationaux suspendus, fermeture temporaire des écoles; l’état de siège a été décrété pour sécurité et réglamenter la circulation pour certains services. Ayant une situation des systèmes sanitaires beaucoup plus complexe que celle des pays européens et consacrant également beaucoup moins des ressources budgétaires à la santé publique, faire face à la pandémie est un défi gigantesque pour cette région, surtout dans un contexte de crise économique généralisée, d’inéstabilité pólitique et d’inéquités sociales.
Ce défi réunit des caractéristiques sans précédent qui mettent en jeu la capacité des réponses des gouvernements dans le monde entier. Décrite initialment comme une épidémie, l’apparition soudaine de la maladie à Duhan a eu rapidement une propagation géographie inmense à d’autres pays et a provoqué des infections communautaires sur plus d’un continent, ce qui a obligé a l’Organisation mondiale de la santé, OMS, à la definir comme une pandémie, quoique tardivement, seulement le 11 mars. En effet, le coronavirus Covid-19 a mis trois mois pour atteindre les 100 000 premiers cas confirmés et seulement douze jours pour les 100 000 suivants au niveau mondial, atteignant 461 972 cas confirmés et 20 827 décès au 26 mars[1]. En Amérique latine, ces chiffres correspondent à 8 398 et 140, respectivement.
L’augmentation du nombre quotidien de cas confirmés a pris cette région par surprise malgré sa vaste expérience dans le traitement des maladies infectieuses qui se propagent facilement d’une personne à l’autre, comme le H1N1 en 2009, le Zika il y a 4-5 ans, le dengue, le chikungunya, le paludisme, la fièvre jaune. Plusieurs pays latinoaméricains ont affronté ces épidémies avec beaucoup de succès, ils avaient la capacité technique et les habitants ont dû apprendre quoi faire avec les sites de reproduction des moustiques; mais maintenant la situation est différente, la capacité technique, les ressources et les fournitures sont insuffisantes par rapport à l’ampleur de l’épidémie; par ailleurs, les personnes doivent apprendre à gérer la distance sociale, les mesures d’hygiène personnelle, les restrictions de circulation, le confinement en quarantaine.
Alors que le coronavirus a éte detecté en France, Alemagne, Italie et l’Espagne, à la fin janvier, amené par personnes provenant de Chine, sa présence en Amérique latine a été plus tardive: à la fin février au Brésil, Méxique et Équateur; pendant la première semaine de mars en Argentine, Chile, Perú, Costa Rica et autres pays. Ceci montre que les premières infections se sont produites dans des endroits avec des liaisons aériennes fréquentes avec la Chine, et que l’éloignement de la ville chinoise de Wuhan a préservé l’Amérique latine de l’explosion initiale.
Une fois la contamination installée, tous les pays ont eu le même besoin d’accroître leur niveau de préparation, vigilance et réponse pour identifier, gérer et traiter les infections du Covid-19, ce qui a été essayé suivant différents scénarios de santé publique dépendant de la réalité de chaque pays et des respectifs impacts économiques, publics et sociaux, dérivés de la transmission du coronavirus.
Ceci a mis en évidence l’énorme varieté de situations de l’attention en santé dans la región. Mis à part Cuba qui confère une dépense de santé de 10,6 % du PIB, les autres pays n’allouent que 6,4 l’Uruguay et Costa Rica, 4,9 % le Chili et Argentine, 4,2 % l’Équateur. Le Brésil, qui possède peut-être le système de santé le plus ambitieux de toute la région, n’investit que 3,8% du PIB. Le reste de pays beaucoup moins. La moyenne latinoaméricaine est du 4,2 % alors que l’OMS recommande 6 %. Ceci est à comparer avec le 7,9% au Royaume-Uni, 8% en Espagne et près de 10% de la France et de l’Allemagne[2]. De même, les dépenses de santé par habitant sont trois fois moins élevées en Amérique latine que dans l’Union européenne.
Étant donné que la progression de la pandémie a affecté une économie mondiale déjà affaiblie tant du côté de l’offre que de la demande, soit par l’interruption des chaînes de production et du commerce international soit par la perte de revenus en raison de la hausse du chômage, les conditions de vie vont se détériorer, et de cette façon l’inégalité en général et l’inégalité d’accès aux services de santé vont faciliter la transmission du virus. L’Organisation panaméricaine de la santé, OPS, estime que 30% de la population de la région n’a pas accès aux soins de santé pour des raisons économiques, et que le 21% des Latino-Américains renoncent également à chercher des soins de santé en raison de barrières géographiques.
La principale crainte en Amérique latine concerne la capacité des systèmes de santé à faire face à la propagation du virus. Selon l’OMS, dans la région seuls Cuba (5,2), l’Argentine (5) et l’Uruguay (2,8) dépassent la moyenne mondiale de lits d’hôpitaux de 2,7 pour 1.000 habitants, ce taux passant à 0,8 lit pour 1.000 au Venezuela et à 0,6 lit pour 1.000 au Guatemala.[3]
La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, CEPAL, a averti que la pandémie de coronavirus aura des effets dévastateurs sûrement plus intenses et différents que ceux subis au cours de la Crise financière mondiale de 2008-2009, et que les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ne seront pas étrangers d’eux, car ils seront touchés par différents canaux. Baisse de l’activité économique des principaux partenaires commerciaux et donc baisse des exportations de marchandises des pays de la región; baisse de la demande de services touristiques qui pourrait se contracter jusqu’un 25 %; perturbation des chaînes de valeur mondiales qui affecterait principalement le Mexique et le Brésil, pays qui importent des pièces et des biens intermédiaires de la Chine pour leurs secteurs manufacturiers; baisse des prix des matières premières exportables; une plus grande aversion au risque des investisseurs et une détérioration des conditions financières mondiales[4].
Cette situation ne se résout pas avec des mesures de «confiance» dans les marchés, des incitations privées à la réactivation des investissements, ou des «ajustements de ceinture», comme le suggèrent déjà de nombreuses chambres d’affaires de la région. La sortie n’est pas néolibérale; la seule chose qui relancera la croissance est le déficit budgétaire, pur et simple, avec des dépenses ambitieuses qui atteignent la population et qui permettent de rétablir le court-circuit économique actuel de la demande et de la production. Des prêts accordés aux petites et moyennes entreprises afin qu’elles puissent continuer à produire et non à licencier des travailleurs. Il y a quelques jours le gouvernement conservateur du Royaume-Uni a annoncé qu’il paierait 80% du salaire des travailleurs pour éviter les licenciements. Le crédit doit s’accompagner de taux d’intérêt bas, à long terme et sans regarder les impacts collatéraux[5].
L’informalité au travail est une constante en Amérique latine. Le travailleur indépendant survit avec les ressources qu’il génère au jour le jour et, par conséquent, la société est dans le dilemme de permettre ces activités économiques et ce vecteur de contagion, ou de ne pas les autoriser et d’affamer une partie importante de la population.
Parmi les mesures prises par certains gouvernements, on peut noter: augmentation du budget de la santé publique et contrôle du prix des médicaments; décaissements de fonds pour les personnes âgées et le maintien de l’emploi en reportant les paiements des entreprises sur les cotisations sociales; suspension du paiement de la dette au FMI et à la Banque mondiale; contrôle des capitaux pour réduire l’augmentation des flux de sorties; achat par l’état de produits aux agriculteurs et non aux supermarchés; une protection sociale efficace pour tous avec des allocations de chômage, des congés de maladie; réduction des taux d’intérêt bancaires pour les petits entrepreneurs; renforcement des programmes pour l’allocation de ressources pour chaque ménage en situation de extrême pauverté; crédits pour les producteurs d’aliments, l’hygiène personnelle, le nettoyage, les producteurs de fournitures médicales; crédits pour des équipements technologiques garantissant une modalité de télétravail.
[1] https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/situation-reports/20200326-sitrep-66-covid-19.pdf?sfvrsn=81b94e61_2
[2] https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-51916767
[3] https://www.lapresse.ca/covid-19/202003/11/01-5264225-coronavirus-lamerique-latine-cherche-a-se-proteger.php
[4] https://www.cepal.org/es/comunicados/covid-19-tendra-graves-efectos-la-economia-mundial-impactara-paises-america-latina
[5] https://www.celag.org/latinoamerica-y-el-covid-19-movilizar-recursos-o-gastar-en-la-gente/
[i] Coordinateur général de la Commission pour la défense des droits de l’homme, CDDH, ONG basée à Quito, Équateur