Abdennour Bouderbala est handicapé à cent pour cent, privé de l’usage de ses membres et de ses doigts. Totalement assisté par les siens, il ne peut ni manger ni boire seul. Depuis sa naissance son univers restait celui qu’on voulait bien lui montrait. En grandissant, c’est sur un fauteuil roulant qu’il repoussait à portée de vue ses horizons, uniquement .
À quoi peut penser ou rêver un handicapé? Où se réfugie-t-il lorsqu’il paraît absent? Où se projette-t-il quand il regarde un monde inaccessible? Mais, quel monde ? Le nôtre. avec des dimensions délimitées par nos simples sens?
Abdennour avait le sien, profond, inconcevable, pour nous. Son univers demeure trop complexe, trop abstrait pour nos évidences.
Comment imaginer un instant que dans le cœur et l’esprit du petit garçon germait lentement, sûrement et sans faire de bruit, une mystérieuse force, une volonté ingénieuse?
Tout juste adolescent, il se réveilla avec une idée fixe, un seul désir vaincre l’infirmité motrice cérébrale qui ra vu naître et qui grandira indubitablement avec lui. « Prouver à ceux qui marchent, qui bougent et qui utilisent leurs mains pour écrire, pour manger et pour simplement gesticuler, que le pouvoir peut donner un coup de fouet à la volonté. »
Dans une insurrection de chocs d’émotions, la première création artistique est née sur un petit graffiti, gésine d’une passion latente qui attendait son heure pour le jaillissement d’un talent inné.
À sa vingtième année, Abdennour exorcise définitivement sa gêne pour la métamorphoser en une maturation de sensibilité.., et soudain, l’éclosion d’une esquisse, puis deux, trois, vingt ; autant de dessins qui précisent l’expression, qui interrogent les regards, qui interpellent les esprits.
Le début d’une aventure sans précédent pour une virtuosité mystérieuse qui se met en mouvement, brusquement Premières semences qui engendrent une débauche d’énergie canalisée dans le coup de crayon, sous la caresse d’un pinceau.
Abdennour dessine! Abdennour peint!
L’imagination intarissable, fertile, du jeune prodige s’offre violemment à nos yeux. Dorénavant, le dessin et la peinture vont habiter sa pensée, couler dans les veines de ses mains et ses doigts désobéissants. L’artiste passe des heures durant, des journées entières, assis par terre, bloquant sa main droite avec la gauche pour maîtriser et guider mystérieusement le jaillissement d’affectivité dans les éléments picturaux qu’il crée. Les œuvres se précisent, émanant de l’insondable esprit du jeune homme, puis prennent forme, au fil d’inconfortables heures ou mois de travail. Â même le sol, dans sa frénésie, il réinvente son univers intérieur dans les toiles qu’il dessine ou peint… Des dizaines de tableaux faits d’images, de symboles et de tons venues d’ailleurs, là où personne ne peut y aller… Le refuge secret de l’artiste.
Des peintures qui représentent possiblement des pulsions dont les arcanes resteront gardés jalousement par Abdenour, et qu’il ne sert à rien de percer.
Quand le caché se peint, l’œuvre est déconcertante!