La montée de l’extrême droite en France prend désormais un tour politique très inquiétant. Depuis la percée de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2012, rien ne stoppe (encore) cette haine qui monte. Tout l’automne aura été rythmé par les déchirements de l’UMP dont le seul sens politique concernait la réponse à l’extrême droite : s’allier ou ne pas s’allier, telle est leur question.
Pendant ce temps, la campagne contre l’égalité des droits devant le mariage chauffe à blanc des forces mobilisables jusqu’alors éparses. Elles occupent la rue, recyclent les formes modernes de la politique : manif festive, happening, utilisation des réseaux sociaux. Les initiatives sont multiples, décentralisées. Les participants viennent en nombre, divers ; preuve de leur dynamique. Une partie de la droite classique joue un jeu dangereux : elle attise la violence et, de fait, alimente ce mouvement putschiste. Et maintenant, des leaders de la droite extrême promettent le sang, attaquent des gays et des lesbiennes, menacent des parlementaires et des journalistes.
Le FN n’a pas besoin de s’afficher ouvertement pour tirer le bénéfice politique de cette situation. Marine Le Pen n’a pas besoin de parler fort pour être entendue. Elle bénéficie du travail idéologique de son père. Et comme le FN ne subit plus l’opprobre qui a entouré l’extrême droite après la seconde guerre mondiale et après la guerre d’Algérie, il peut prospérer. Le changement de génération à la tête du parti frontiste matérialise ces temps nouveaux et leurs possibilités.
Les récentes évolutions nous font changer de registre. Nous ne sommes plus face à une simple protestation comme la droite a su en conduire depuis trente ans. La menace est explicite. En créant un mouvement appelé « Printemps français », ses initiateurs se réfèrent aux révolutions arabes et à celles des pays de l’Est. Le fait même que l’appel initialement prévu le 26 mai, en lien avec le vote de la loi en faveur de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, devienne une manif le 5 mai, à l’occasion de l’anniversaire de l’élection de François Hollande, exprime à lui seul la globalisation du propos.
AU COEUR D’UNE RÉPUBLIQUE AGONISANTE
Le Front de gauche avait donné, le premier, rendez-vous à cette date pour faire entendre l’exigence d’une République nouvelle, contre la finance et l’austérité. Car, après le scandale de l’affaire Cahuzac, la défiance à l’égard de la politique instituée a atteint un seuil paroxystique. Pour l’enrayer, il faut donner la parole et du pouvoir au peuple. Le candidat Hollande avait promis une République irréprochable, et nous sommes au coeur d’une République agonisante.
Notre devise est en berne. La liberté ? C’est celle des marchés financiers. L’égalité ? On lui préfère désormais ce sous-produit qu’est l’équité, et la rigueur budgétaire grandit à mesure que les inégalités se creusent. La fraternité ? La voici déployée au sein de la caste dominante, l’oligarchie. Les valeurs émancipatrices ont besoin de reprendre des couleurs. L’esprit public et la République sociale doivent prendre le pas sur le règne de l’argent et le pouvoir de la finance.
Le gouvernement Ayrault a renvoyé le changement aux calendes grecques. Cette politique sans espoir nourrit les solutions autoritaires, en France comme partout en Europe. Le 5 mai, et au-delà, nous avons le devoir de transformer la colère, l’écoeurement, la peur de l’avenir en une perspective politique qui, aux antipodes de la démagogie, du repli nationaliste et xénophobe, du « tous pourris », soit à la hauteur des besoins populaires.
L’appel par des forces de la droite radicalisée à une manifestation le même jour que celui du Front de gauche n’est pas anodin. Mais celui-ci n’entend pas entrer dans le jeu de l’extrême droite qui veut accroître la tension entre elle et lui. Notre objectif, c’est une issue émancipatrice aux désordres actuels, une alternative à ce système à bout de souffle. L’argent, comme finalité, nous conduit dans le mur. Il pourrit les humains, gangrène la démocratie, fait souffrir les peuples. La relance par le partage des richesses, la transition écologique, la maîtrise publique de la finance, l’extension des services publics et des protections ouvrent un autre paradigme.
Le préalable, c’est de lancer un processus constituant pour une VIe République. Dans toute la gauche, politique, sociale, culturelle, intellectuelle, a-t-on pris la mesure du danger comme du potentiel d’invention d’une politique audacieuse qui, loin de l’impuissance, modifie l’ordre des choses ? Espérons-le, tant la situation appelle un rassemblement. Notre force, c’est le nombre. Encore faut-il que le nombre crée la force.