L’Alternative « Produire et consommer autrement »
Pas simple mais incontournable (Hommage à François Cosserat)
Christian PELLICANI, Président du MNLE
Conseiller à la Métropole Aix-Marseille
Notre façon de produire s’est emballée ces dernières décennies sous l’impact de multiples facteurs dont les principaux sont: nouvelles techniques, essor démographique, appétit du lucre. Ce dernier est trop souvent mal pris en compte. Il est à la base du gaspillage constaté dans la production des produits de grande consommation, aliments compris. Il en fait partie intégrante. Il n’est pas un accident c’est une conséquence du mode de production dominant et des inégalités sociales qu’il provoque.
Cette explosion de la production- consommation s’est appuyée sur l’existence de ressources fossiles, pétrole, gaz et charbon, à faible coût économique. L’agriculture, contrairement aux apparences, n’a pas fait bande à part. Une tonne d’engrais, c’est en gros une tonne équivalent pétrole. Mais ce n’est pas tout. L’azote que cette énergie permet de capter est aussi, une fois épandu, à l’origine d’émissions qui vont entrer dans la danse des perturbateurs du climat. Et ceci de manière non marginale. De fait, par un ensemble de mécanismes entremêlés, le dispositif global de production assis sur une consommation massive d’énergies fossiles carbonées, a perturbé pour le moins deux cycles biogéochimiques, celui du carbone et celui de l’azote.
Le changement climatique est un effet des perturbations du cycle du carbone. Celles du cycle de l’azote y participent également mais elles ajoutent un impact direct sur l’eau et les sols, aggravé par le productivisme agricole qui engendre ses propres effets négatifs. La production agricole patine alors que les besoins augmentent. Il ne suffit pas, pour régler la question de la nourriture, de mettre en accusation la consommation de viande. C’est beaucoup plus complexe.
Quelles cibles ?
Nous sommes à l’âge des énergies fossiles carbonées. Mais il devra être beaucoup plus court que celui du bronze ou du fer sinon les effets négatifs seraient insupportables. Mais avons-nous les clés d’un futur apaisé ? Ce n’est pas sûr. Les conférences internationales se suivent mais n’apportent aucune rupture.
N’est-ce pas le paradigme qu’il faut changer ?
L’économie est celle d’une offre de plus en plus dominée par les multinationales. Le projet de traité transatlantique leur attribuerait encore plus de pouvoir. Le paradis mondial du libre-échange est un mirage dangereux mais qui malheureusement fait un large consensus, parfois et même souvent parce qu’aucun autre modèle n’apparaît crédible. Depuis près de deux siècles, la société vit sur le mythe de la main invisible du marché qui serait seule capable de mettre en œuvre une organisation rationnelle de l’économie. Beaucoup font le constat que les résultats sociaux et environnementaux ne sont pas au rendez-vous, que le pire n’est pas arrivé. Mais pourtant la logique destructrice est poussée plus loin. Tout juste propose-t-on quelques ajustements qui ne sont souvent que des leurres ou des vœux pieux.
En premier lieu figure la transition énergétique qui fixe comme objectifs majeurs la réalisation d’économie (ce qui pourrait être une bonne chose mais encore faut-il se donner les moyens de réussir) et le recours massif aux énergies intermittentes éoliennes et photovoltaïques, présentées à tort comme renouvelables. Leurs productions d’électricité n’est pas programmable. Tous les progrès qui peuvent être réalisés pour améliorer leur régulation ne pourront pas changer cette réalité. Nous sommes donc dans une impasse qui fragilisera la qualité de l’électricité et diminuera ses performances environnementales puisque la seule façon financièrement supportable pour gommer l’intermittence se fait avec des centrales fonctionnant au gaz et au charbon. Pire le modèle économique dominant, le capitalisme, a été appliqué à l’électricité. Les intermittentes sont devenues sources de rentes. De nombreuses collectivités se font prendre au piège. Moralité : les prix grimpent et les besoins sont plus mal satisfaits. La précarité augmente ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. L’Allemagne en est le meilleur exemple.
Se trouve en deuxième lieu la litote de la règle du pollueur-payeur.
Elle contribue à la dictature du prix, du signal-prix dans le jargon. C’est un des moyens, sans doute peut-être le plus fort, de la manipulation du consommateur par une économie de l’offre. Il paye parce qu’on lui fait croire qu’il est coupable.
Le knout du signal-prix
Les économistes ont ressenti le besoin de tenir compte de l’utilisation de ressources naturelles gratuites (eau, air) et des rejets dans la nature (pollutions et déchets). Dans une économie pilotée par l’offre, cela se traduit par des taxes, des règles, des normes et des permis à polluer. L’offre est ainsi contrainte par un supplément de prix. C’est pour mieux lisser et ouvrir le marché mondial que le traité transatlantique veut généraliser cet arsenal. Mais on est entré dans une nouvelle phase où ce n’est plus seulement l’entrepreneur qui est contraint mais directement le consommateur. De toute manière et dans tous les cas, c’est le consommateur qui finit par payer lorsqu’il y a sanction financière. La réduction des pollutions résulte en général d’une avancée des techniques, c’est-à-dire d’une transformation de l’usage. Faut-il un bâton pour cela ? Où n’est-ce pas plus intelligent de favoriser la recherche et l’innovation?
Le signal-prix est devenu incontournable.
La prévention ne peut pas se réduire au recyclage. Faut-il donc seulement corriger les abus, redresser les travers ou s’interroger sur ce qui pourrait être une économie circulaire digne de ce nom ? L’homme ne mérite-t-il pas autre chose que le knout du signal-prix ?
La question sociale
Les considérations précédentes sur l’énergie amènent à penser que les problématiques environnementales sont avant tout sociales donc politiques. Le climat est un bien commun mondial. L’énergie n’existe pas pour elle-même mais parce que c’est le moyen de créer des activités, de modifier sa proximité. C’est donc tout à la fois le quotidien des gens, donc le niveau de développement, et la répartition des ressources, notamment énergétiques, et des richesses, qui sont au centre des enjeux. On le voit bien dans les conférences internationales sur le climat. Le marché c’est la violence de l’argent qui en appelle d’autres. La manière dont il organise les échanges ne fait qu’aggraver les problèmes. Les pays en développement ne font que copier le modèle et par là même contribuent au marasme. Dans tous les pays et malgré l’augmentation globale du PIB, les inégalités se creusent. Le coût du travail anémierait les vielles économies. L’eldorado serait trouvé dans l’émergence de nouvelles couches moyennes dans les BRIC. Il suffirait alors de compter sur une innovation surfant sur le numérique pour soutenir la consommation et récolter une part du gâteau. Pendant ce temps, les émissions de gaz à effet de serre s’accroissent. La biodiversité est de plus en plus maltraitée. Des millions de gens fuient la misère dans des conditions bien souvent atroces. Les murs-barrières fleurissent alors que les puissants ne parlent que de liberté de circulation. Mais il s’agit bien sûr de marchandises pour le plus grand bien des multinationales qui prospèrent. Les populismes aussi.
Or avouons-le : nous ne savons pas bien comment nous y prendre pour desserrer l’étau et redonner du sens à l’intelligence humaine. L’espoir du grand soir a vécu. Il faut renverser le paradigme actuel en inventant de nouvelles praxis.
Une chose paraît claire : il faut faire passer aux oubliettes le forçage de l’économie par l’amont, de plus en plus sous la direction des multinationales.
Le changement de modèle est de passer du couple « lucre-consumérisme » à celui de « usages-démocratie ».
Une approche territoriale
L’objectif stratégique fondamental est de tourner l’essentiel des moyens vers des productions industrielles diffusées dans le territoire, utilisant les ressources renouvelables issues du végétal et du vent, branchées sur le réseau électrique à très basse teneur en carbone fossile et participant à sa régulation. Le raisonnement ne se fait plus seulement sur les problématiques énergétiques mais intègrent celles des matières premières. Le choix du territoire n’est pas le seul possible. L’économie circulaire classique est généralement conçue sur la base d’échanges de ressources non ou mal utilisées. Très souvent c’est le déchet qui en est le vecteur. Mais la réflexion reste confinée dans l’industrie voire dans une zone industrielle et n’aborde pas les relations de proximité en particulier avec l’agriculture et la ville.
Les échanges doivent également inclure l’énergie. De plus en plus de grandes industries et de grands équipements se lancent dans la cogénération dans la mesure où ils ont besoin de chaleur et de vapeur. C’est un bon moyen d’augmenter le rendement énergétique global. Il faut rendre possible la généralisation à des entreprises moyennes. C’est même un enjeu majeur dans le contexte de la relocalisation des activités industrielles car la dimension d’unités proches des ressources renouvelables sera très probablement modeste. Il faut donc envisager la création de zones industrielles équipées de moyens de production d’énergies. La nature des combustibles et les techniques peuvent être diverses mais l’enjeu est d’utiliser les ressources au mieux.
La triple écologie
C’est une notion qui n’est pas facile à exposer dans la mesure où les acteurs d’un territoire entrent dans des relations croisées, structurées par l’objectif d’utiliser les ressources locales renouvelables du mieux possible, en respectant la nature et le travail. Les acteurs sont les citoyens-consommateurs, les agriculteurs et forestiers, les industriels. C’est une économie circulaire ouverte sur le territoire qui vise à recoudre autant que possible les cycles biogéochimiques du carbone et de l’azote. Elle est également branchée sur les réseaux d’électricité et de gaz si la méthanisation est possible. L’industrie comme l’agroforesterie ne sont pas fixées uniquement sur des marchés locaux. Ce n’est pas un copié-collé d’un modèle prédéterminé en fonction du portefeuille commercial de tel ou tel groupe mais une mise en valeur de potentialités humaines et naturelles d’un bassin de vie dans lequel les politiques préventives et curatives esquissées plus haut se développent. L’efficience des actions permet de bien répondre aux besoins de bien-être. C’est de fait un ensemble de réponses politiques à la rareté relative des ressources et à l’héritage consumériste et productiviste. Il est possible de définir des structures nécessaires à ce réseau territorial.
Le rôle des collectivités est d’autant plus indispensable que la fourniture d’énergies adaptées à la relocalisation industrielle met en valeur des ressources locales en y incluant les déchets ménagers et assimilés. L’agriculture et la foresterie sont concernées comme les ménages, notamment par des fournitures de combustibles, de carburants et d’aliments. Le citoyen- consommateur doit avoir une bonne compréhension du réseau d’échanges où il un rôle actif à jouer. Les déchets fatals sont des ressources. On sort des problématiques du tri des emballages qui peuvent encore conserver un intérêt mais qui prennent en compte le réemploi et la réduction des emballages dans un contexte de circuits courts, la valorisation de la matière organique dans une approche globale et territorialisée, la valorisation thermique intégrée dans l’ensemble des gisements.
La triple écologie est ainsi décrite dans ses grandes lignes. Ce n’est pas seulement une approche territoriale mais une proactivité inventive et citoyenne entre la ville, la campagne et l’industrie dans un cadre de politiques curatives et préventives, d’un pôle public de l’énergie, de politiques industrielles, d’une économie des usages qui donne une place centrale au bien-être de toute les femmes et tous les hommes. Deux sujets doivent être encore abordés : celui des agricultures et celui du partage.