Le débat concernant les orientations budgétaires 2019 se tient dans un contexte particulier.
3 mois après le drame et les morts de la rue d’Aubagne, une prise de conscience massive est survenue quant à l’état d’indigence dans lequel se trouve notre ville.
Habitants, associations, acteurs socio-économiques, artistes et bien d’autres se lèvent pour dénoncer les conditions de vie des marseillais et les choix politiques qui y ont conduit. Ils appellent à une mobilisation sans précédent pour changer l’avenir de Marseille et de ses habitants.
Mais à la lecture de ce rapport, force est de constater que cette prise de conscience est restée loin, très loin des bancs de la majorité.
Si je devais le définir d’un mot, celui qui me vient à l’esprit est INCURIE.
Un rapport quasi copier-coller des orientations budgétaires que vous nous proposez depuis un quart de siècle, exception faite d’un point sur lequel je me garderai bien de contrarier votre analyse. C’est le couple heureux que vous semblez former avec l’Etat.
Dans un autre temps, on aurait pu dire blanc bonnet – bonnet blanc tant vos objectifs de baisse de la dépense publique coïncident avec ceux du gouvernement. Vous survendez ainsi une contractualisation avec l’Etat qui limite pourtant toute capacité d’initiative politique à notre ville puisqu’elle interdit toute hausse de plus de 1,25% des dépenses de fonctionnement.
Satisfait d’avoir signé un contrat qui grave l’austérité de vos politiques dans le marbre, vous poussez même le zèle jusqu’à annoncer une baisse d’1,9% des dépenses de fonctionnement, ouvrant la voie à un nouveau recul des politiques publiques dans notre ville.
Cette cure d’austérité vous permet ainsi de continuer votre politique de vente à la découpe de notre ville, de reculs des services publics, de casse de l’emploi municipal et d’aggravation des inégalités sans en porter l’entière responsabilité.
Vous poursuivez les mêmes objectifs politiques que le gouvernement, sur ce point je ne vous démentirai pas mais sur les priorités politiques que vous exposez ensuite, je veux faire part de ma consternation.
Vous poursuivez votre route comme s’il ne s’était rien passé de dramatique.
Vous poursuivez comme s’il n’y avait pas de mobilisations citoyennes vous rappelant à vos responsabilités.
Responsabilités, non pas passées, mais présentes dans la gestion quotidienne de la crise du logement et des urgences sociales qui frappent à votre porte.
En effet, les orientations budgétaires présentées semblent à ce point déconnectées de la réalité vécue par les marseillais, de leurs revendications pour vivre dignement, que l’on se demande si ce rapport a été pensé par des élus qui partagent le quotidien de ses habitants, qui sont confrontés aux mêmes impasses, aux mêmes besoins…
Ces orientations sont pétries d’autosatisfaction et d’oublis souvent bien opportuns.
Oubliée la pauvreté dans notre ville par exemple, quand un rapport récent du Secrétariat Social atteste que le quart de la population marseillaise vit en dessous du seuil de pauvreté et que le quart suivant n’est pas loin de la rejoindre.
Leur jugement est implacable : « Marseille est incapable d’accorder à chacun une vie décente ».
25% de pauvres contre 14% au niveau national mais vous poursuivez comme si de rien n’était vos politiques libérales qui n’ont conduit qu’à renforcer les inégalités et l’exclusion.
On parle pourtant de plus de 200.000 personnes contraintes de survivre à Marseille, et le mot pauvreté n’apparait pas une seule fois dans votre rapport…Pas une seule fois !
Oubliés également les chiffres du chômage dans notre ville, 3 points au-dessus de la moyenne nationale. L’autosatisfaction des rédacteurs est perceptible quand il s’agit d’évoquer les salons professionnels ou la croissance du nombre de croisiéristes, mais quelles sont les retombées concrètes pour les marseillais ? La question n’est même pas posée, pas plus que ne seront évoquées des mesures concrètes qui permettraient d’agir directement pour l’emploi, comme l’instauration d’une clause sociale dans l’ensemble des marchés publics et l’accès à un réseau de transports collectifs performants, comme c’est le cas dans toutes les grandes villes françaises.
Oubliées également les fermetures de bibliothèques et l’insuffisance de leur nombre, 8 à Marseille contre 16 à Lyon et 21 à Toulouse. Quelle réponse apportez-vous à ceux qui sont inquiets et mobilisés sur l’avenir de certaines bibliothèques comme celles du Panier et de Saint-André ?
Oublié l’accès aux équipements sportifs dans une ville structurellement sous dotée en gymnases, stades, piscines, quand une seule création nouvelle est annoncée pour 2019. Il est à cet égard symptomatique que la liste de vos priorités dans le domaine du sport commence par les aménagements en vue de Jeux Olympiques d’un coût de 30 M€. Pensez-vous vraiment que la priorité des habitants de notre ville en matière sportive se trouve là ? Que l’urgence n’est pas à un maillage territorial renforcé des équipements sportifs, accessibles à tous ?
Oubliée surtout la détresse des familles des victimes de la rue d’Aubagne et des délogés. Mais quand prendrez-vous la mesure du drame du mal logement dans notre ville ? Allez-vous accepter la Charte du relogement pour associer les personnes délogées Monsieur le Maire ?
8 morts, plus de 2000 délogés qui font face à des conditions de vie indignes, entassés dans des chambres d’hôtel, victimes pour certains encore de l’insalubrité, contraints de manger Sodexo à tous les repas, de se mobiliser pour continuer à percevoir des tickets RTM. Abandonnés par les pouvoirs publics face à la masse des démarches à effectuer, relogés très loin de leur lieu de vie, ces familles, ces enfants sont en situation de profonde détresse sociale, économique et sanitaire.
Et pourtant. Aucune annonce ne vient répondre aux urgences de l’habitat indigne en 61 pages de rapport. Vous vous contentez seulement d’énoncer la poursuite d’engagements pris précédemment au drame et d’envoyer le cadeau empoisonné à la Métropole. Aucun plan d’action à la mesure de la crise que connait notre ville sur les risques sanitaires et sécuritaires encourus par plus de 100.000 marseillais dans leur logement.
Il est temps de décréter une mobilisation inédite pour le droit au logement à Marseille.
Des mesures existent, procédure de travaux d’office, permis de louer, préemption, réquisition de logement vides, expropriation des marchands de sommeil, production massive de logements sociaux, et bien d’autres encore.
Nous vous les avons soumises à de nombreuses reprises, seule manque votre volonté politique.
Mais aujourd’hui, la situation des délogés, des sans-domicile et notamment des mineurs isolés à Marseille est trop grave. Vous ne pouvez plus nous répondre que vous ne vous interdisez pas d’avoir recours à la procédure de réquisition des logements vides. Nous vous demandons instamment d’utiliser cet outil juridique. Dans le cas contraire et face à l’urgence, nous nous substituerons à vous.
La politique est une question de choix. Les vôtres alimentent la résignation et la colère, entretiennent le sentiment d’impuissance, alors même qu’il s’agit, avant tout, de volonté politique.
Lorsque vous décidez de ne pas décréter une mobilisation pour un logement digne à Marseille c’est un choix. Lorsque vous décidez de maintenir le projet d’hôpital privé dans le 12ème ou de téléphérique, malgré l’opposition de la population, ce sont des choix.
Lorsque vous décidez d’accorder à l’OM une ristourne de loyer pour permettre des travaux d’accessibilité au Vélodrome pour les personnes à mobilité réduite, quand la ville accuse un retard considérable pour faciliter leur vie et leurs déplacements, c’est un choix.
Lorsque vous décidez d’investir des millions dans la vidéosurveillance ou la sécurité alors que cela ne relève pas de vos compétences directes et que le doute est permis quant à son efficacité, c’est encore un choix.
Des choix lourds, coûteux, pluriannuels pour certains, qui ne bénéficieront pas à l’immense majorité des marseillais, qui les priveront même puisqu’il s’agira pour les financer de contracter la dépense ailleurs. C’est autant de moyens qui ne seront pas consacrés aux besoins réels et immédiats des habitants de notre ville.
Il faut maintenant d’autres choix.
D’autres choix pour nos écoles notamment que vous placez comme souvent au 1er rang de vos priorités.
Pourtant l’état de l’école publique à Marseille est l’un des plus préoccupants de notre pays. La décrépitude des établissements, le manque de moyens, les risques en termes de sécurité ou d’hygiène reviennent régulièrement dans l’actualité et au premier rang des préoccupations des familles.
Marseille « bashing » à vos yeux. Lumière crue jetée sur la réalité quotidienne de dizaines de milliers de marseillais pour beaucoup d’autres.
Plafond qui s’effondre, punaises de lit, entrée des cantines supprimées…la liste est longue, les revendications des parents et des acteurs du système scolaire marseillais également.
Et malgré les alertes, vous refusez une nouvelle fois de prendre la mesure du problème, la souffrance au travail des ATSEM, le danger que font courir à nos enfants la réduction des effectifs d’encadrement et l’absence de réhabilitation de nombreux groupes scolaires, sont pourtant connus et régulièrement dénoncés.
Mais les réponses apportées semblent encore et toujours empreintes d’un dogmatisme libéral forcené dont le recours au privé apparait comme le premier des commandements.
Ainsi est né le PPP sur les écoles marseillaises.
Sans audit de l’ensemble du parc pour estimer les besoins et prioriser les urgences, vous décidez d’engager plus d’un milliard d’euros de dépenses qui atterriront directement dans la poche des géants du BTP, de privatiser une nouvelle fois toute une partie du patrimoine municipal, de délaisser la grande majorité des écoles du plan tout en engageant les marseillais pour de longues années de contrat qu’il sera impossible de rompre.
Malgré l’opposition des habitants, des associations, des syndicats, des architectes, des entreprises locales de BTP rien n’y fait, vous refusez de concerter et d’envisager une alternative alors même qu’un contre projet moins onéreux vous a été soumis.
Aujourd’hui la justice va trancher cette question et le rapporteur public a requis dans le sens de l’annulation de ce projet.
Il est d’ailleurs surprenant de ne pas retrouver cette actualisation du dossier au sein de ce rapport, il faut dire que résumer un projet d’une telle ampleur en à peine 10 lignes était un exercice de haute voltige… Encore un oubli décidemment opportun.
Monsieur le Maire, nous vous demandons d’admettre le jugement à venir et de remettre l’école et la petite enfance au cœur des priorités de l’action municipale par la réalisation urgente d’un audit des besoins de réhabilitation et de construction d’établissements scolaires, le recrutement d’ATSEM, la création de 1500 places de crèches municipales et la construction d’équipements sportifs ouverts à tous.
Mais d’autres choix, il en faut également pour développer les transports collectifs et les modes de déplacement doux ; pour permettre un développement équilibré et raisonné de la ville conjuguant création d’emplois, construction de logements et d’équipements publics, fondé sur une politique environnementale ambitieuse.
D’autres choix pour faire vivre la démocratie locale, pour construire collectivement les politiques dont nous avons besoin, pour faire de la culture et du sport des leviers d’émancipation populaire.
D’autres choix pour faire reculer les inégalités et la grande pauvreté, pour réinventer une ville où l’on vit mieux et où l’on vit ensemble.
Votre bilan nous l’impose.
Notre ville est abimée et meurtrie par vos choix politiques. Vous auriez pu vous saisir de la situation pour proposer un plan ambitieux pour notre ville mais vous avez préféré vous enfermer dans une politique dogmatique, au service de quelques-uns mais certainement pas de l’ensemble des habitants, en continuant une marchandisation à marche forcée de la ville, quand l’immense majorité réclament le changement pour vivre décemment.
Ces orientations finalement, sont à l’image de votre politique, éloignée des marseillais et incapable de répondre aux défis de l’avenir.
Nous voterons contre ce rapport.