Le Conseil mondial de l’eau à annoncé la tenue d’un Forum mondial de l’eau à Dakar en 2021.
Le CME est une association loi de 1901. Il prétend regrouper sur le plan mondial tous les acteurs de l’eau, des institutions internationales, des États, des multinationales aux associations d’usagers, de façon « équilibrée ».
C’est en fait une machine de guerre à ambition totalitaire contre le développement de la gestion politique, publique, et résiliente de l’eau par l’institution de « communs » et la planification démocratique. Le CME prône des concessions diverses, y compris sous forme de délégations de service public, aux transnationales comme Véolia et Suez. Ces formes d’appropriation privée et de marchandisation seraient, dans sa doctrine, le seul moyen efficace pour résoudre la crise mondiale de l’accès à l’eau, sans cesse aggravée par la croissance démographique et par le réchauffement climatique[i]. Les solutions de marché, mises en œuvre depuis plus de trente ans selon ces principes, n’ont pas fait progresser le droit humain effectif à l’accès à l’eau, y compris dans les pays du « Nord ». Malgré tout, les négociations climatiques, de la COP 20 de Lima à la COP 23 de Bonn, ont promu les investissements privés dans le domaine du grand et du petit cycle de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène, en lieu et place de la gestion et des financements publics, réduits à de maigres fonds dont on espère un effet de levier au bénéfice du secteur privé.
Comme l’ont rappelé un certain nombre de nos amis, les stratégies d’entrisme dans le CME sont vouées à l’échec et contreproductives pour notre camp. Ses partisans ont pu constater depuis l’inanité, un peu obstinée, de leur démarche.
Le forum alternatif mondial de l’eau, tenu à Marseille en 2012 avec succès, a bien défini démocratiquement, sur la base des diagnostics, des revendications et des réalisations des mouvements sociaux, la nécessité de défendre et de promouvoir un forum thématique indépendant des États néolibéraux et des multinationales.
Mais ses participants n’ont pas réussi à se libérer du rythme trisannuel imposé par le CME et de ce face-à-face souvent inégal.
Pour ces raisons, du point de vue global, il nous semble nécessaire de se réunir et d’organiser un FAME massif à Dakar en mars 2021.
Rajendra Singh nous a alerté sur les raisons de l’organisation par le Conseil mondial de l’eau de son forum en Afrique subsaharienne après celui de Brasilia cette année : « Les compagnies mondiales de l’eau comme Veolia utilisent le Conseil mondial de l’eau comme plate-forme pour pénétrer dans les pays pauvres en développement comme le Sénégal où elles ont signé un contrat pour construire une usine de traitement de l’eau à grande échelle en février 2017 juste avant que le Sénégal n’obtienne l’organisation du Forum mondial de l’eau. Simple coïncidence ? » Ainsi, la Société nationale des eaux du Sénégal (SONES) a attribué à Veolia la conception et la construction d’une usine de production et développement, l’AFD, se félicitait que cinq bailleurs multilatéraux, dont elle est le chef de file, AFD, BEI, BID, BM et BAD, finançaient des opérations profitables « pour les constructeurs de station de traitement d’eau (Suez Environnement, Véolia, Saur), les entreprises de fourniture de canalisations (Saint-Gobain PAM), les entreprises de travaux (SADE, Eiffage, Sogea-Satom) et les fabricants de pompes et les équipementiers en électricité. » Elle applaudissait aux « retombées importantes en termes de diplomatie économique ».
Les multinationales de l’eau ont dû abandonner leurs stratégies africaines de la fin du 20e siècle. Elles consistaient à construire et à gérer des entités réunissant la production d’eau et d’électricité. Les conditions de passation conjointe de contrats et de pactes de corruption avec les oligarchies les a mises souvent ensuite en position de boucs émissaires, comme au Gabon. Les taux de profits ont pu s’effondrer du fait de la sous-budgétisation du secteur par les États, ce qui a déclenché parfois des retraits. Car les gouvernements considéraient l’extension anarchique de la démographie des mégapoles comme une menace et l’accès aux droits essentiels était perçu comme une facilitation indésirable.
Les questions de l’assainissement et de l’hygiène seront aussi considérées à présent uniquement du point de vue de la conquête de marchés de travaux, financés ou garantis au niveau souverain.
On voit donc que cette approche restera notoirement insuffisante pour faire progresser les droits humains fondamentaux à l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène hydrique.
Une révision bienvenue des critères statistiques du JMP[ii] nous révèle qu’en Afrique subsaharienne seulement près de 24% de consommateurs disposent en permanence d’une eau potable à domicile, 28% de toilettes salubre et que seulement 15% ont la possibilité de se laver les mains.
La croissance démographique, les restrictions et bouleversements liés au changement climatique devancent les progrès constatés en valeur.
Il est donc urgent pour les peuples africains de peser de tout leur poids.
Or cette prise en main rencontre de nombreux obstacles. L’objet de ce texte n’est pas de les étudier spécifiquement et systématiquement.
Si l’on met le focus sur le secteur associatif, et l’institution de » communs », il faut constater qu’il est peu développé et manque de stabilité dans le temps. Car, si la nécessité et la volonté de s’associer dans le domaine de l’accès à l’eau salubre, l’assainissement, l’hygiène hydrique, de la lutte contre la pollution des masses d’eau et l’accaparement des terres les mieux dotées en eau, l’implantation forcée de barrages, sont fortes et impérieuses, les oligarchies au pouvoir s’y opposent par la violence, la corruption et les tracasseries administratives. Le plus souvent, d’ailleurs, la création d’une association dépend de l’avis conforme à priori des autorités politiques et de leur sens des affaires. Les collectifs informels ne sont pas considérés comme des interlocuteurs valables et leurs dirigeants peuvent être poursuivis, maltraités, jetés en prison voire assassinés.
Aussi, nous avons pu constater une quasi disparition du réseau constitué en Afrique subsaharienne à l’occasion du FAME 2012 à Marseille.
La tenue à Dakar en 2021 de ce nouveau FAME pourrait aider à la revitalisation et à l’extension de ce tissu par une préparation adéquate, et un échange mondial d’expériences au bénéfice du mouvement mondial de l’eau, divers et, jusqu’à présent, en cours de construction.
Afin de préparer cette manifestation sur le continent Africain les acteurs du FAME : EBC PACA et le MNLE réseau Homme&Nature propose la création à Marseille ville du FAME 2012 et de la GREMME en 2015 d’un espace permanent « Eau bien Commun».
[i] Sylvie Paquerot au FAME Marseille 2012 https://youtu.be/-uYlUkhJpQs
[ii] Joint monitoring program Le Programme commun de surveillance pour l’approvisionnement en eau et l’assainissement de l’OMS et de l’UNICEF est le mécanisme officiel des Nations Unies chargé de surveiller les progrès accomplis dans la réalisation de l’ objectif de développement durable n ° 6 (ODD 6) depuis 2016.