Parmi les nombreuses mesures proposées par le Front de Gauche, il en est une qui fait particulièrement réagir : le Smic à 1700 euros. Et de manière générale l’idée qu’il est temps d’augmenter les salaires. Ça ne serait pas possible nous dit-on. Voyons ça.
Le SMIC à 1700 euros
Aujourd’hui, le SMIC est à 1365 euros brut, soit 1070 net/mois. Si le Front de Gauche arrive au pouvoir, il le passera à 1700 euros brut en début de législature, puis 1700 net en 2017. Or, quand on écrit cela, on nous réplique : « Dans ce contexte de crise, comment feront les petites entreprises pour supporter cette augmentation ? Comment faire alors que l’Etat est en faillite ? Vous n’y pensez pas, dans un monde ouvert il faut être compétitif ! ». Si on veut être crédible, voilà les questions auxquelles il faudra répondre. J’essaye ici, d’apporter six éléments de réponse.
Premièrement, on nous a déjà fait le coup
A chaque fois que la gauche a arraché quelque chose dans ce pays, la droite disait : « Ce n’est pas possible ! ». On nous taxait d’utopistes. C’est vrai que ça devait faire rêver. Imaginez un peu, donner le droit pour les ouvriers de toucher un salaire sans travailler ou le droit de partir à la retraite avant la mort. Infaisable nous disaient-ils. Pourtant, les congés payés et la retraite à 60 ans ont été arrachés de dure lutte. Finalement, c’était possible non ? Vous avez-vu ? A chaque fois que le peuple veut faire progresser la société, la rendre plus juste, la droite le taxe d’archaïques, de menteurs ou même d’idiots. Il faut faire de la pédagogie disent-ils. Ne nous arrêtons pas à ca. Nous on peut je vous ai dit !
Deuxièmement, un peu d’humanisme
A ceux qui nous disent que le SMIC à 1700 euros, ça ne tient pas la route, nous devons leur rétorquer la question suivante : « est ce que ça tient la route une société où on demande aux salariés de vivre avec 1000 euros par mois ? Aujourd’hui, le SMIC, c’est 120 euros de plus que le seuil de pauvreté. Ça tient la route ca ? Peut on vivre décemment, se soigner, se loger, s’instruire avec 1000 €/mois ? » On l’a vu plus haut, notre pays n’a jamais été aussi riche. La richesse est le produit du travail collectif de la société toute entière. Nous avons le devoir moral de mieux repartir la richesse produite par tous. Nous le devons.
Troisièmement, les TPE PME
Aujourd’hui, 80% des salariés sont dans des TPE et PME. Ce sont elles qui font tourner l’économie et non nos « champions nationaux » du CAC40. Ça tombe bien, les petites et moyennes entreprises seront les grandes bénéficiaires d’une augmentation générale des salaires, et cela pour 2 raisons. Tout d’abord, aujourd’hui, ce ne sont pas les petites entreprises qui se gavent de dividendes, ce sont les entreprises du CAC40 qui, paradoxalement, sont proportionnellement beaucoup moins imposés. En 2011, l’entreprise Total, avec 10 milliards de bénéfices, n’a pas versé un euro au titre de l’impôt sur les sociétés. En moyenne, les entreprises de moins de 9 salariés sont taxés à 30%, les entreprises du CAC40 le sont seulement à 8%. Donc, si on taxe les revenus du capital pour augmenter les salaires, cela se fera forcement au profit des petites entreprises. CQFD ! Par ailleurs, ce qui fait tourner les entreprises, ce n’est pas le fait qu’elles doivent payer plus ou moins de « charges ». Ce qui compte, c’est le carnet de commande. Dans cette optique, une augmentation des bas salaires fera respirer l’économie. Car, les salaires des classes populaires vont forcément à un moment ou un autre, se retrouver dans la consommation et ainsi faire tourner l’économie réelle (ce qui n’est pas le cas des hauts revenus qui partent bien souvent dans la bulle spéculative. Au total, moins de 2% des des opérations financières financent des opérations économiques réelles). En augmentant les bas salaires, on rentre ainsi dans un cercle vertueux dont vont forcément bénéficier les entreprises :
Augmentation des salaires -> consommation -> le commerce repart -> le carnet de commande se remplit -> hausse du chiffre d’affaire -> l’augmentation des salaires n’est plus un problème.
Augmenter les salaires fera respirer l’économie. C’est la seule issue pour sortir de la crise. L’autre politique possible, c’est l’austérité, et on voit bien le résultat.
Quatrièmement, la mondialisation n’est pas un problème
« Mais alors, les prix vont augmenter. Du coup, les consommateurs vont acheter les produits chinois, ou les fraises espagnoles. On est dans un monde ouvert bla bla bla… ». Tout d’abord, les TPE PME sont moins ouvertes à la concurrence que ce qu’on dit. Il faut arrêter avec le mythe du plombier Polonais. De plus, pour résister à la pression internationale sur le coût du travail, la réponse politique est simple : il faut se protéger. Et, plutôt que de privilégier des formes de protectionnisme unilatérales qui pourrait se transformer en protectionnisme nationaliste, il faudra plutôt œuvrer pour la mise en place d’un système de protectionnisme international multilatéral. Aujourd’hui, l’OMC puni les états qui ne respectent pas bien les règles du libre échange. Si on a réussit à mettre cela en place, on peut tout aussi bien en changer les règles. En attendant, pour résister aux agressions, nous ne nous interdirons pas de mettre en place au niveau européen mais aussi au niveau national, une certaine forme de protectionnisme social et écologique. Cela pourra passer notamment par la mise en place d’une taxe kilométrique qui permettra de taxer plus lourdement les produits qui viennent de plus loin : convergence sociale et écologique qui favorise aussi le commerce transfrontalier. Bref, pour mettre en place ces mesures, nous devront sortir d’un certain nombre de dispositions du traité de Lisbonne dont la pierre angulaire est la concurrence libre et non faussée. Si le peuple nous en donne le mandat, nous le ferons.
Enfin, certains disent qu’il faut demondialiser (Sapir, Montebourg), d’autres disent qu’il faut du protectionnisme (Todd), ou d’autres encore qu’il faut décapitaliser (P. Laurent). Derrière le vocabulaire, l’idée est là : les ouvriers du monde entier ne doivent pas être mis en concurrence les uns avec les autres pour faire pression sur les salaires. La mondialisation n’est pas un problème insoluble. Les gouvernements se sont auto infligés des règles dogmatiques pour servir les intérêts de quelques uns. Il n’y a pas de lois naturelles en économie, ce sont bien les gouvernements les maitres d’œuvre. Un gouvernement qui veut changer ces règles, le peut. Nous nous sommes mis des menottes en plastiques qu’on peut décider de briser à tout moment.
Cinquièmement, nous avons des marges de manœuvre budgétaires
Quoi qu’en disent les declinistes qui ne cessent de clamer haut et fort que l’état est en faillite, si on reprenait les 10 points qui sont passées des poches du travail a celles du capital en 25 ans, cela rapporterait 195 milliards d’euros par an. Je rappelle que le service de la dette qui nous effraie tant ne représente que 50 milliards par an. L’état a de quoi assurer la transition pour aider les entreprises en difficulté, notamment en favorisant le développement de l’économie sociale et solidaire. Les seuls perdants dans tout ça, seront ceux qui gagnent leur argent en dormant, ceux qui spéculent et qui ruinent la France en s’accaparant injustement les richesses.
Sixièmement, et sinon, vous proposez quoi d’autre ?
Mais ceux qui ne sont pas convaincues et qui veulent continuer comme aujourd’hui, on ne peut que leur dire qu’une chose : à la fin, c’est le peuple souverain qui décide. Le réponse à la crise, c’est le partage des richesses. Le partage est la seule stratégie crédible et plausible, et c’est une issue par le haut. Nous on propose la planification écologique, la 6e république, le partage des richesses… Et eux, l’austérité ? Montrez nous un endroit ou cette politique fonctionne ! Nulle part !
Nous on peut
« La meilleure forteresse des tyrans, c’est l’inertie des peuple » disait Machiavel. Le Front de Gauche est un outil et un programme que le peuple peut choisir de mettre en mouvement. Et, sachez le, si le peuple souverain le décide, tout ce qui est dans le programme du Front de Gauche sera appliqué ! La clef du succès, c’est l’implication populaire. Cela commence par chacun d’entre nous !
Épilogue : petit détour linguistique
Quelqu’un a attiré récemment mon attention sur l’origine du mot démocratie. Tout à fait éclairant, je reproduis ici, avec son autorisation, le contenu du mail qu’il m’a adressé.
Le nom Démocratie, est composé de deux mots: démos dont la traduction est “peuple” et kratein, qui renvoie à l’exercice d’une souveraineté. “Démos”, comme le français “peuple” peut désigner l’ensemble des citoyens, mais aussi par opposition aux “notables”, le petit peuple. C’est ce dernier sens que semble choisir Périclès lorsqu’il dit que les décisions dépendent ”de la majorité”, du plus grand nombre, car il est évident que le petit peuple forme cette majorité. “Kratein” est aussi un terme ambigu. Il implique l’idée de force (voir corporelle, de domination se distinguant du terme “arché” définissant l’exercice du pouvoir dans les autres forces politiques, par exemple: monarchie, et oligarchie. Que Périclès ai préféré “démocratie” à ”démarchie” est révélateur du sens à donner à ce nom, à savoir recours à la force populaire.
Le Front de gauche annonce une hausse du smic de 25 % brut (et il faudrait ajouter de 39 % en net lorsqu’il sera porté à 1700 net) et cela sans sourciller.
Pourtant c’est quand même une augmentation conséquente pour les employeurs. Certes, l’idée est « de leur faire les poches ». Certaines entreprises pourront et devront prendre sur leurs profits. Mais combien trouveront un moyen de contourner ce problème :
(1) en accélérant si possible la substitution du travail par le capital,
(2) en augmentant les prix et en demandant aux consommateurs de payer pour l’augmentation du SMIC (ce qui signifie de l’inflation donc une baisse des salaires réels),
(3) en intensifiant le travail, en demandant aux salariés d’être encore plus productifs, encore plus flexibles donc de compenser eux même le surcoût de leur augmentation de salaire (comme c’est le cas avec les 35h !). Pas sûr donc que le partage de la valeur ajoutée se modifie nettement par cette mesure. Pas sûr que la mesure ne se traduise pas par du chômage.
Vous me direz bien sûr qu’en 1968 les travailleurs ont obtenu une augmentation du smig de 35 %, mais le contexte n’était pas le même :
(a) le smig décrochait par rapport au salaire moyen, les inégalités salariales augmentaient et étaient à leur apogée depuis 1945, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui où les inégalités de salaires sont historiquement au plus bas (hormis concernant le 1 % le plus riche). Rien ne justifie une hausse du SMiC dans la mesure où il entraine un resserrement de la grille salariale, les autres salaires n’étant pas réévalués autant.
(b) l’économie connaissait une forte croissance, les richesses étaient toujours plus importantes, et il n’y avait pas de chômage donc toute augmentation de salaire bénéficiait à tous et alimentait la croissance. Aujourd’hui, dans un contexte de chômage de masse, l’augmentation du SMIC renforce le chômage des moins qualifiés, il devient une machine à exclure ceux qui ne sont pas assez productifs. On augmente le smic mais au détriment de l’emploi. Il y aura des gagnants, ceux qui ont un emploi, et des perdants, les chômeurs, les précaires.
(c) la hausse du SMIC a été obtenue par la grève générale, par la mobilisation des travailleurs, qui a conduit à un accords entre partenaires sociaux. Aujourd’hui, la hausse du SMIC va être décidée par le gouvernement et imposé aux partenaires sociaux. C’est le président qui décide du prix du travail. De sorte qu’à nouveaux en France les partenaires sociaux sont marginalisés, que l’action collective est rendue inutile, que les syndicats mêmes sont délégitimés auprès des salariés : à quoi sert de se syndiquer et de se mobiliser si le vote permet d’arriver au même résultat ? A nouveau l’Etat s’impose. Du coup pas de vrai accord, pas de compris entre partenaires sociaux, et donc pas de paix durable : le prochain gouvernement pourra dénoncer les actions de la gauche qui plombent l’économie avec le soutient des patrons. Il serait plus judicieux de trouver des accords, des compromis qui soient durables parce que incontestables (car non « politiciens »).
Pour améliorer le sort des salariés peu payés, il y a la redistribution : les logements sociaux, les allocations, la fiscalité, les services publics. C’est sur cet aspect qu’un gouvernement doit légiférer non sur le prix du travail.