Le président de la commission des affaires économiques de l’assemblée nationale, François Brottes, vient d’annoncer une décision imminente du gouvernement quant à « l’ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques ».
Rappelons les faits.
Le 27 août, alors que cela ne figurait ni dans les thèmes ni dans les conclusions du débat national sur la transition énergétique qui venait de s’achever, 3 ministres, Pierre Moscovici, Bernard Cazeneuve et Philippe Martin, annonçaient officiellement leur intention de lancer la mise en concurrence des concessions hydroélectriques à partir du 1er semestre 2014. Dans une lettre au président de la Cour des comptes, ils affichaient explicitement leur volonté de faire mieux que la droite qui s’était avérée selon eux incapable de mettre en oeuvre cette mise en concurrence, et avançaient pour ce faire une nouvelle méthode baptisée « méthode des barycentres », plus que favorable à la concurrence. Qui plus est, cette annonce était faite alors que la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale travaillait sur le sujet et que les députés missionnés pour établir des préconisations n’avaient pas achevé leurs auditions !
Le 7 octobre, ce rapport, présenté par Marie-Noëlle Battistel (PS) et Eric Straumann (UMP), était déposé. Que dit ce rapport ?
Considérant l’hydroélectricité comme « un point fixe de la politique énergique française depuis des décennies », il énonce les « difficultés majeures » qu’entraînerait la mise en concurrence des barrages :
– « danger pour la sureté des usagers et la sécurité des approvisionnements »
– « hausse mécanique des prix pour les consommateurs », alors qu’aujourd’hui « la rente hydraulique profite au consommateur et à l’état »
– « garanties insuffisantes apportées aux acteurs locaux pour les différents usages de l’eau »
– « destructions d’emplois inévitables »
Le prétexte de l’Europe ? Pas sérieux : il y a « absence d’ouverture réciproque des autres parcs hydroélectriques européens ».
La « méthode des barycentre » (consiste à aménager le processus de remise en concurrence en favorisant la création de lots unifiés sur une même vallée) préconisée par les 3 ministres ? Ce serait « la perte de contrôle sur le parc hydroélectrique français », «un manque de garantie pour les collectivités locales » ; « la question du transfert des salariés est laissée de côté », le gain financier pour l’état et les collectivités territoriales est « à relativiser » mais « l’impact sur le prix de l’électricité bien réel ». On comprend mieux avec ce point que les parlementaires aient relevé au terme de leurs auditions « l’impatience des concurrents » pressés de dépecer le potentiel hydroélectrique national pour en capter la rente. Ce serait au bout du compte « un délitement du modèle français sous couvert d’eurocompatibilité ».
Enfin, le rapport démontrait l’existence de scénarios alternatifs à une mise en concurrence évitant le dépeçage du potentiel hydroélectrique national parfaitement compatibles avec la jurisprudence européenne et permettant de garder sous contrôle public les ouvrages hydrauliques.
Il faut saluer la sagesse des parlementaires. L’affaire est effectivement d’une gravité extrême. Les barrages c’est 12% de la production électrique, et 80% de l’électricité d’origine renouvelable. Mais il faut savoir en outre que l’électricité produite par les barrages permet d’ajuster la production électrique aux besoins qui varient à tout moment de la journée et de l’année, et qu’elle est souvent livrée aux heures de pointes, c’est-à-dire au moment où les prix sont les plus élevés. Elle peut donc constituer une manne spéculative pour les grands groupes financiers. D’autant plus, il ne faut pas le cacher, que les systèmes électriques européens sont aujourd’hui déstabilisés par la fourniture d’électricité d’origine solaire et éolienne, par nature intermittente et irrégulière, car l’électricité ne se stocke pas.
Faire le choix de la mise en concurrence des barrages, ce serait faire le choix de la destruction de la cohérence du potentiel national au seul profit des appétits des grands groupes privés, le choix de la mise en cause de la stabilité de la fourniture d’électricité, le choix de la hausse des prix pour les ménages et les entreprises. Ce serait aussi faire peser des risques inconsidérés pour les fonctions sociales et écologiques des barrages, notamment en matière de gestion de l’eau.
En fait de « transition énergétique », ce serait donc un pas décisif vers l’éclatement du modèle énergétique français. Et ce ne sont pas diverses réunions interministérielles qui peuvent avancer en ce sens en balayant le travail des élus.
Au contraire, il est urgent d’approfondir et de consolider les points les plus positifs des propositions des parlementaires. C’est ce qu’ont fait à divers échelons les parlementaires et militants communistes et du Front de Gauche, comme en Isère et en région Limousin ou bien à l’Assemblée Nationale et au Sénat Plus que jamais, la France a besoin de valoriser l’ensemble de ses atouts, et la maitrise de son important potentiel hydroélectrique en est un essentiel.