Analyse.
On caricature un peu, car toutes les interventions ne furent pas de cette acabit mais la tonalité générale relevait presque de la béatification en mondiovision. Ce ne serait finalement pas gênant si le fond du « bruit médiatique » n’était grandement construit sur de dangereuses approximations. Il en va des idées comme des fusées : un défaut de trajectoire d’un millimètre se solde à l’arrivée par un écart abyssal. Voici donc quelques phrases entendues, à contester en toutes occasions.
« Nelson Mandela, le premier président noir de l’Afrique du Sud ».
Personne ne peut contester que Mandela soit un homme noir. Pourtant, lorsqu’il prête serment le 10 mai 1994, ce n’est pas sa « qualité » première. Il est, ce jour-là, le premier président démocratiquement élu. Les autres présidents étaient blancs mais ce n’était, en définitive, qu’un élément accessoire : le principal problème était qu’ils furent élus par un corps électoral exclusivement blanc dans un pays où les Noirs, Métis et Indiens représentaient 90% de la population. La nature du système prime sur la couleur de la peau de son représentant.
En revanche, on peut parler de Barack Obama comme du premier président noir de l’Histoire des Etats-Unis puisque le système politique repose sur le suffrage universel (même s’il n’a été réellement universel qu’à partir de la loi sur les droits civiques de 1964-65) depuis des décennies, voire des siècles.
« Mandela a été élu suite aux premières élections multiraciales de l’Histoire du pays ».
Si l’on prenait pour argent comptant cette assertion, cela signifierait : soit que des hommes, des légumes et bœufs ont voté le 27 avril 1994, soit, encore plus stupide, que l’on considère que, parmi les Hommes, il y a plusieurs races. Pour nous, l’unicité de la race humaine est un principe inattaquable et incontournable. Ces élections furent démocratiques et, selon l’expression désormais retenue, « non-raciales », dans le sens où elles ne reposaient pas sur le principe erroné d’une appartenance à la catégorie fantasmée des « races ». On vous l’assure, pour l’avoir vu de nos propres yeux : ce jour-là, seuls des citoyens de la race humaine ont voté.
« Nelson Mandela a libéré les Noirs ».
Voici maintenant Mandela en Moïse des temps modernes. La reconnaissance du rôle de « Madiba » dans le statut d’égalité et de liberté devant la loi dont jouissent aujourd’hui tous les habitants du pays ne peut nous exonérer de deux remarques :
- Les Noirs se sont libérés eux-mêmes. Par leur lutte. Par leur résistance. Avec les organisations politiques (ANC, parti communiste) et syndicales (COSATU) dont ils se sont dotés et avec les dirigeants, dont Mandela, que celles-ci ont désigné.
- Comme le faisait remarquer Mandela lui-même le soir de l’annonce de la victoire de l’ANC, la fin de l’apartheid et l’avènement d’une démocratie ont libéré « les blancs du poids de leur oppression ». Cette réflexion sur la double libération est essentielle dans la « pensée Mandela » : celui qui oppresse n’est pas libre. Ce qui signifie aussi : si nous oppressons ceux qui nous ont oppressés, nous ne serons pas libres. On ne peut comprendre la stratégie de l’ANC pendant la transition si l’on n’a pas à l’esprit
« Mandela dirigeait l’ANC, le parti des Noirs ».
L’ANC était le parti de la libération… Il était donc le mouvement dans lequel se reconnaissaient, en effet, l’écrasante majorité des Noirs mais également des Indiens et des Métis ainsi que des Blancs. Dès les années 50, responsables politiques, syndicaux ou religeux, Noirs, Indiens, Blancs, Métis élaborent la Charte de la Liberté qui proclame que « l’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent ». Préfiguration d’un pays où la couleur de peau n’est pas un statut juridique.
« Mandela, un adepte de la non-violence »
Drôle d’affirmation concernant celui qui fut en charge de la mise en place de la branche armée de l’ANC, Umkhonto we Sizwe (la lance de la Nation). Mandela n’était pas un adepte en soi de la violence mais il a estimé, avec les autres membres du noyau dirigeant de mouvement anti-apartheid, que l’attitude du régime d’apartheid ne laissait d’autres solutions que le passage à la lutte armée devant prendre pour cible les attributs du pouvoir non des personnes civiles. Au moment de la transition entre la fin juridique de l’apartheid, en 1990, et le début de la démocratie, en 1993, la direction collective du mouvement, Mandela en premier lieu, ont estimé qu’une tactique de violence s’avérerait contre-productive.
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