Du Capitole (de sa promesse, au moins) à la roche tarpéienne. Du 20 octobre 2013 au 30 mars 2014. D’une participation citoyenne insoupçonnée aux primaires à la pire défaite du PS à Marseille (un seul secteur sauvegardé, moins de conseillers municipaux que le FN), si l’on excepte 1989 et le grand chelem de Vigouroux (et encore !).
Une raclée d’une telle intensité ne peut être que le produit d’une accumulation de facteurs. En l’occurrence, il semble même que tous les facteurs potentiels aient convergé pour déclencher la foudre sur le parti du « maire illustre » (comme l’appelle Gaudin), Gaston Defferre, qui régna sur la ville de 1953 à sa mort en 1986.
L’ « effet Hollande »
C’est ce que l’on appelle du « off », une rencontre entre élus et journalistes, une discussion libre dont les propos ne sont pas considérés comme officiels. Ce matin-là, une ministre conversait donc, autour d’un café et de viennoiseries, avec une petite dizaine de journalistes. La question a été posée. Une fois, deux fois, trois fois. La réponse a été répétée. Une fois, deux fois, trois fois. « Personne ne nous parle du gouvernement ». Après tout, c’était peut-être vrai. D’autant plus que des députés, des conseillers généraux, des conseillers municipaux nous indiquaient la même chose. « Personne ne nous parle du gouvernement ». Mais des militants et responsables politiques aguerris devaient-ils s’en contenter ? L’erreur première aura été de considérer ce silence comme la signification d’une absence de problème. Depuis dimanche soir, on connaît le prix politique du réconfort à peu de frais…
Une élection municipale ne se joue jamais que sur des enjeux locaux. Sinon, pourquoi la déroute de la gauche en 1983, deux ans après l’élection de François Mitterrand ? Sinon, pourquoi 2008 et la défaire de la droite, neuf mois après l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Encore moins à Marseille. Encore moins quand un comité interministériel a été consacré à cette ville. Encore moins quand cette ville (15% de chômeurs, 26% de pauvres) attend beaucoup du pouvoir. Encore moins quand le candidat du PS a organisé le ballet des ministres.
L’ « effet Andrieux »
Manifestement, en politique aussi, « le client est roi » (formule débile mais, en l’occurrence, pratique). Et lorsque l’on n’a plus rien à offrir aux « clients-citoyens », ils se vengent. Dans les quartiers nord, l’électorat populaire a fait payer au PS l’absence de résultats concrets de la politique du gouvernement comme l’inefficacité grandissante du système clientéliste. Rappel utile, le clientélisme est selon, le sociologue Cesare Mattina, le fait d’ « entretenir des clientèles politiques par l’octroi de faveurs et services en échange de vote et de soutiens politiques ».
Sauf que la ressource de « faveurs et services » se tarit. Le processus est engagé depuis des dizaines d’années. En termes d’emplois publics, l’âge d’or de Defferre est bien lointain. Des logements ? Même constat. Le clientélisme avait trouvé un nouveau souffle avec le financement d’associations douteuses (attention : elles sont ultra-minoritaires). La condamnation en première instance de Sylvie Andrieux, ancienne vice-présidente du conseil régional, pour détournement de fonds publics versés à des associations bidons, et la généralisation des politiques d’austérité ont fonctionné comme deux coupe-circuit. Plus rien ou plus grand-chose ne sort du robinet clientéliste. Au porte-à-porte des cités populaires, la même rengaine revient : « Qu’est-ce que la politique peut changer pour moi ? » Ils ne laissent pas le temps aux militants d’argumenter et en viennent à leur conclusion : « Rien ».
Les classes populaires de l’immigration post-coloniale ont présenté l’addition au PS sous la forme d’une abstention massive (entre 60 et 70%), qui n’a reculé qu’à la marge entre les deux tours, et parfois d’une sorte de « vote révolutionnaire » anti-PS assez manifeste (cf les reports évidents d’une frange importante des électeurs Diouf sur Miron).
L’effet Guérini
Jean-David Ciot, l’ancien premier secrétaire fédéral du PS, a le sens de l’euphémisme. Dans les locaux de la fédération PS, il disait dimanche soir que Jean-Noël Guérini avait peut-être rendu les coups qu’il avait reçu. Que ce « peut-être » était suave… C’était un secret de Polichinelle depuis le printemps 2013: le président du conseil général ferait tout pour savonner la planche de son ancien directeur de campagne. L’alliance entre les deux tours avec les listes Gaudin dans son fief du 2e secteur (2e et 3e arrondissements) a « officialisé » l’union des deux G, sans que – fait notable – les électeurs des uns et des autres ne la sanctionnent dans les urnes… Et un secteur (où Hollande l’avait emporté au second tour des présidentielles avec 67% des suffrages !) de plus de perdu pour la gauche, !
Le triple « effet Mennucci »
Primaires, campagne programmatique, personnalité : Patrick Mennucci a bien fait d’affirmer, dès dimanche soir, qu’il assumait « personnellement » cette défaite, car c’est bien le cas. Triplement, le cas.
Le député du centre-ville a été le partisan le plus engagé du processus de désignation du candidat par vote citoyen. Il en a été l’heureux bénéficiaire puis la première victime. Comme le notait Marie-Arlette Carlotti, dès dimanche soir, « le processus des primaires s’est avéré destructeur ». Tout le monde est sorti vainqueur du vote du 30 octobre dernier : Patrick Mennucci, car désigné candidat, Samia Ghali, en tête dans les secteurs de gauche qui y a ensuite fait ce qu’elle a voulu sur les listes (jusqu’à imposer le maintien de Garo Hovsépian, 76 ans), et même Marie-Arlette Carlotti, Christophe Masse et Eugène Caselli en mesure, de par leurs scores, de faire valoir leurs revendications particulières notamment en termes de candidatures auxquelles Patrick Mennucci a, globalement, cédé.
Une fois désigné pour porter l’étendard rose, Patrick Mennucci a décidé de mener une campagne programmatique, point par point, dossier par dossier, qu’il connaît mieux que personne et peut-être même mieux que Gaudin. Mais il n’a jamais su incarner la rupture avec le « gaudinisme » (c’est un constat, pas un jugement de valeurs) qu’il s’acharne à apparenter à un « immobilisme » alors que Marseille a incontestablement changé en deux décennies (encore eut-il fallu interroger la « nature » de ce développement et ses très grandes limites…). Tout comme il doit constater que sa personnalité « clivante » et sa longue histoire dans le sérail socialiste n’ont pas favorisé une crédibilisation de son discours de rupture… avec le « guérinisme », maladie sénile du « defferisme » dont ne finit pas de mourir le PS marseillais. La grande nouveauté de dimanche dernier est que les électeurs, même face au danger FN (Ravier n’est élu qu’avec 18% des inscrits dans le 7e secteur), ont cessé de pratiquer l’acharnement thérapeutique.
Bien vu .Certes . Mais que faire maintenant ? disait l’autre…