ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 décembre 2017.
Décision :
Article unique
Une commission d’enquête, composée de trente députés, est instituée en application de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale. Cette commission sera chargée de dresser l’état des lieux des maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie et de formuler des propositions pour les prévenir et les éliminer.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination, (Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Pierre DHARRÉVILLE, Alain BRUNEEL, Marie-George BUFFET, André CHASSAIGNE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Jean-Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC,
Député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Notre pays a besoin d’industrie pour relever les défis humains, sociaux, écologiques de l’avenir, d’une industrie du XXIème siècle. Une industrie respectueuse de l’humain et de la planète, utile à répondre aux besoins réels de notre temps.
Depuis le début de l’ère industrielle, nous savons que la santé et la sécurité de celles et ceux qui louent leur force de travail peuvent être sacrifiées pour augmenter la rentabilité d’une installation et les profits des propriétaires. Si le droit du travail a produit des avancées, ce temps n’est pas révolu : les maladies professionnelles demeurent une réalité. Elles continuent de constituer un angle mort des politiques publiques.
Or, la remise en cause de la prise en compte d’un certain nombre de critères dans le compte de pénibilité, comme la suppression des CHSCT dans les entreprises ont de quoi inquiéter. Le risque de voir les questions de santé et de sécurité passer derrière les enjeux économiques et y être subordonnés a suffisamment été souligné pour ne pas s’en préoccuper de près.
D’après une enquête de Santé publique France du 13 juin 2017 (1), 12 % de la population active (2,6 millions de personnes) déclare être exposée dans son travail à une nuisance cancérogène (chimique ou non) sur le lieu de travail. Et 4,8 millions de tonnes d’agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction seraient actuellement utilisées en France.
L’exposition aux risques chimiques doit être mieux évaluée dans notre pays et les moyens d’action contre les polluants industriels réévalués. En effet, la difficulté à faire reconnaître le caractère professionnel de nombreuses maladies contractées par les salariés ne doit pas masquer les failles mais inciter à l’action.
En matière de risques chimiques, l’histoire nous enseigne que les premières victimes des scandales sanitaires sont souvent les travailleuses et travailleurs et leurs familles. En attaquant cette question à la source, c’est l’ensemble des populations des bassins industriels et l’ensemble de la planète qui s’en porteront mieux.
Plusieurs études montrent que la toxicité des émissions n’est pas toujours appréciée à son niveau de risque et que les effets cocktails ne sont pas suffisamment pris en compte. Au premier rang de ces polluants encore restés dans l’ombre se situent les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Dans de nombreux endroits, des postes de travail sont notoirement facteurs de maladies graves à commencer par des cancers et aucun investissement sérieux n’y est produit pour les empêcher. L’exposition de sous-traitants à des risques élevés est devenue une pratique courante, sans que le suivi médical soit au rendez-vous ni la prévention.
Selon de nombreuses voix, de nouveaux scandales sanitaires couvent.
Il convient également de dresser un état des lieux concernant les risques psychosociaux dans l’industrie elle-même. Les phénomènes de burn-out ont été particulièrement mis à jour dans le secteur tertiaire, mais ils existent aussi dans l’industrie, étouffés par le bruit des machines. La fragilité des entreprises du secteur, soumises à des opérations régulières de rachat, de délocalisation et de restructuration, ajoutent encore à l’émergence de ces maladies qui sont loin d’être reconnues à leur juste mesure. Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne le travail posté, où les cadences et le travail de nuit ajoutent aux troubles psychosociaux.
Le travail posté est également la source de troubles musculo-squelettiques. Mais plus généralement, des travaux de manutention et de port de charges lourdes répétés, souvent confiés à des sous-traitants, là encore, provoquent des maladies professionnelles graves et dans bien des cas rédhibitoires.
Cette commission d’enquête se fixera donc l’ambition d’évaluer les conditions de travail dans l’industrie, considérant que les salariés ne doivent pas perdre leur vie à la gagner et que les maladies éliminables doivent être éradiquées sans délai. En s’appuyant sur l’expertise des salariés et sur les études des scientifiques, il y a moyen d’agir.
Dans un contexte de mise en concurrence exacerbée, de course à la rentabilité et de délocalisations, ces questions sont parfois tues et étouffées. Il revient aux pouvoirs publics d’agir avec vigueur en se gardant d’une approche binaire opposant les partisans de l’industrie à ses détracteurs.
En affrontant cette question, nous sommes à un carrefour décisif. Nous sommes mis au défi d’inventer de nouveaux modes de productions adaptés aux besoins et aux exigences qui se font jour : exigences sanitaires, sociales, économiques et environnementales.
Comme tant de femmes et d’hommes, acculés à prouver que leur maladie a des causes et des responsables, la République doit se ranger du côté de celles et ceux qui veulent savoir et qui ne veulent pas de ces scandales qui sèment la maladie et la mort.
Il y a urgence.
Cette proposition de résolution demande la création d’une commission d’enquête pour dresser l’état des lieux des polluants chimiques dans l’industrie, des troubles psychosociaux et des conditions du travail posté. Elle exigera de la part des industriels des réponses précises sur l’état des installations et la nature des mesures prises pour faire dès aujourd’hui la lumière. Pour cela, elle s’appuiera autant sur des expériences de terrain que sur des expertises scientifiques et institutionnelles.
Elle s’intéressera au cas des salariés des donneurs d’ordres comme à ceux des sous-traitants et des intérimaires. Il s’agira d’évaluer l’état des normes en vigueur et leur pertinence, de recenser les actions entreprises et de proposer un plan d’action pour lutter efficacement contre les maladies éliminables.
Elle cherchera également à mesurer l’efficacité de l’action publique en la matière, ainsi qu’à évaluer les moyens dont disposent les services de santé au travail pour assurer leurs missions.
La commission formulera des propositions tant pour la prévention des risques et les normes à édicter que pour le déclenchement des alertes, les acteurs à mobiliser et renforcer, les dispositifs de contrôle et de détection, ou pour la prise en charge et l’indemnisation des victimes.
1 () SANTE PUBLIQUE FRANCE, « Exposition des salariés à de multiples nuisances cancérogènes en 2010 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire », n° 13, 13 juin 2017.