Qcm ouvre le débat sur la présidentielle, n’hésitez pas à réagir.
Par Bernard Lamizet
professeur émérite à l’Institut d’Études Politiques de Lyon
Jamais peut-être le vote pour un candidat de gauche n’a-t-il été aussi urgent qu’aujourd’hui. Nous nous trouvons dans une situation étrange : jamais le libéralisme n’a été aussi fort, à la fois dans les politiques et les logiques économiques et dans les discours et dans les opinions, jamais l’État, en France comme dans d’autres pays, n’a jamais été aussi affaibli, et, pourtant, jamais l’appel au retour à l’autorité de l’État n’a jamais été aussi fort. Cela se traduit par une montée, en France, des opinions en faveur du Front national (un tiers des Français, selon un sondage publié par Le Monde le 7 mars), et, dans d’autres pays, par la force des régimes autoritaires en Russie ou en Chine, mais aussi par le retour, aux Etats-Unis, des illusions populistes façonnées par Trump, qui sait pourtant bien être libéral quand cela lui rapporte.
Pourquoi nous trouvons-nous dans une telle impasse ? Pourquoi nous trouvons-nous dans une situation dans laquelle des dirigeants du P.S. piétinent les décisions de l’élection primaire et se retournent vers la candidature du banquier E. Macron. Sans doute y a-t-il trois raisons à cela. La première, qui semble la plus grave, est la pauvreté du débat politique et l’absence d’idées et de projets. L’élection présidentielle se réduit à une comparaison entre des programmes : cela veut dire que le choix ne se fait plus entre des projets politiques mais entre des catalogues de promesses. Finalement, l’élection présidentielle devient une concurrence entre des catalogues de vente par correspondance. Cela m’amène à envisager une seconde raison à cet appauvrissement du débat politique : à force de s’être imposé comme une sorte de nécessité incontestable, comme une vérité indiscutable, dans le temps long dans les médias, dans les imaginaires politiques, dans le discours des partis, le libéralisme a vidé l’espace public de touts les formes du débat politique et de toutes les idées, de tous les engagements, qui ne se confrontent plus les unes aux autres pour la simple raison qu’il n’y en a plus. Enfin, cette domination du libéralisme a fini par chasser le peuple de l’espace politique. Savons-nous même aujourd’hui ce qu’est le peuple ? La mondialisation a chassé les entreprises des pays riches vers les pays où le travail est moins cher parce que les salaires y sont scandaleusement faibles. Le chômage est devenu une sorte d’habitude, ce qui fait que le peuple ne travaille plus et, par conséquent, ne se retrouve plus dans les entreprises et ne se retrouve plus dans la voix des syndicats et des partis démocratiques. Et comme ce n’est plus la voix du peuple qui s’exprime dans le débat public, c’est celle des soi-disant élites qui parle et qui appelle à voter pour les candidats qui défendent le libéralisme en oubliant de dire qu’il est responsable de la montée du chômage et de la dégradation du travail, à la fois en raison des déréglementations qu’il a imposées et de la précarisation des emplois qu’il a engagée dans le monde.
C’est pourquoi la gauche doit aujourd’hui voter pour Jean-Luc Mélenchon. Certes, il n’est pas parfait et l’on peut parfaitement ne pas se retrouver dans l’ensemble de ses idées et de son projet. Mais sans doute est-ce lui qui pourrait, par son élection, remettre de nouveau en œuvre le débat politique dans l’espace public de ce pays et faire retrouver à ses habitants le sens de la citoyenneté.
En effet, d’abord, c’est J.-L. Mélenchon qui s’engage à remettre le politique au cœur des choix économiques et des politiques sociales. Le pire méfait du libéralisme, comme on le sait, ou comme on devrait le savoir depuis Marx, c’est de séparer la politique et l’économie, de faire échapper l’économie au politique. C’est de cette manière que les entreprises ont utilisé le chantage au chômage pour imposer leur contrôle sur les politiques publiques et c’est de cette manière que l’euro et la politique monétaire de l’Union européenne ont fini par échapper à la souveraineté politique. Par ailleurs, Mélenchon est le candidat qui dispose d’assez de soutiens, aujourd’hui, pour être en mesure de faire entendre dans le débat électoral la voix des exclus et celle des classes populaires tellement réduites au silence par la domination à la fois économique et culturelle du libéralisme qu’elles ont fini par la perdre. Une troisième raison de choisir Mélenchon est qu’il a un projet de politique internationale fondé sur le retour de la voix de notre pays dans la confrontation aux autres au sein de l’Union européenne et dans la confrontation entre les pays du Nord et ceux du Sud. Enfin, c’est dans une candidature unique portée par Mélenchon que la gauche peut retrouver la force qui lui permettra de figurer au second tour de l’élection présidentielle et de retrouver l’élan qui lui a permis de remporter les choix démocratiques dans d’autres occasions de l’histoire de notre pays.
Il faut choisir Jean-Luc Mélenchon parce que, de tous les candidats des grands partis de ce pays, c’est le seul qui a échappé à cette logique absurde qui nous a été imposée encore une fois d’un pays qui n’a pas la même histoire politique que la nôtre, les Etats-Unis, cette logique des « élections primaires » qui ont mené les Républicains et le P.S. à une véritable impasse, la droite se voyant imposer une candidature populiste et le P.S. voyant son candidat démocratiquement désigné se voir refuser le soutien des acteurs politiques de son propre parti. Mélenchon a été désigné par des militants qui se reconnaissent en lui : en ce sens, il est porteur d’une identité pleinement politique. Il n’est pas un candidat imposé par un coup de force et il n’est pas un candidat porteur d’une idéologie et d’un projet politique cachés dans la rhétorique d’un discours vide. Il faut choisir Jean-Luc Mélenchon parce qu’il est le seul, sans doute, à faire retrouver à notre pays le sens de l’engagement politique.
Bernard Lamizet est professeur émérite à l’Institut d’Études Politiques de Lyon