La cuisine provençale est avant tout tributaire, dès le Moyen Âge, de la prise du pouvoir des comtes de Provence dans le royaume de Naples, après la bataille de Bénévent en 1266, puis de l’installation des papes à Avignon. Elle n’en a pas moins évolué au cours des siècles suivants, en particulier avec l’arrivée des produits comestibles du Nouveau monde.
À la campagne, les recherches, menées dans les rares archives conservées, ont démontré que le paysan et sa famille, du Moyen Âge jusqu’à la Révolution, se sont nourris des produits de la ferme auxquels s’ajoutaient ponctuellement ceux de la chasse, de la pêche, du ramassage et de la cueillette. La viande de boucherie était très peu consommée dans ce milieu, et le macellier (boucher) n’était sollicité que pour les fêtes et lors des récoltes (moisson ou vendange) pour nourrir le personnel1.
Il est à souligner que la pomme de terre fut d’abord cultivée dans les Alpes provençales bien avant de l’être en basse Provence. Ce tubercule mit longtemps avant de remplacer rave, raiponce, panais et campanule. La culture de la salade était peu répandue, lui était substituée la cueillette des salades sauvages et des tétragones. Toutes les jeunes pousses, le printemps venu, étaient consommées sous le nom d’asperge. L’été permettait la cueillette des baies du micocoulier, des faînes du hêtre et des graines du pin pignon. Les escargots étaient le mets préféré lors des moissons et les champignons amélioraient l’ordinaire l’automne venu. En toute saison, la chasse et la pêche permettaient de varier le menu1. Avec le pain, les choux apparaissent en toutes saisons et restent la base des menus quotidiens2.
Jusqu’à la Renaissance, le chou n’est remplacé qu’occasionnellement par les épinards, les herbes (blettes) ou le potiron2. Durant cette période l’alimentation va changer. Si sa base reste le pain et le vin, sauf pour les femmes car, dit le proverbe, L’aigo fai vèni poulido (l’eau fait devenir jolie), s’y ajoutent l’huile d’olive (de noix en montagne), alors qu’elle n’était réservée qu’aux seules fritures, et la tomate1.
Le pain, dont la consommation est énorme en milieu rural, sert avant tout pour faire tremper la soupe où ont bouilli des racines (raves, navets et carottes qui ont supplanté les panais) ainsi que des produits du potager (pois chiches, lentilles, fèves et haricots venus d’Amérique). Les jours gras quelques morceaux de viande – le plus souvent du mouton – agrémentent cette soupe3.
L’apparition de la tomate va bouleverser les habitudes alimentaires provençales. Elle est consommée surtout sous forme de coulis. Fernand Benoit note : « Le condiment de cette cuisine, en basse Provence, est la tomate, la pomme d’amour, qui est le légume le plus commun du Midi. C’est l’assaisonnement d’hiver comme d’été, car il n’y a pas une ménagère qui, à l’automne, ne fasse d’innombrables « bouteilles » de conserve, qui cuisent au bain-marie dans un chaudron »4.
Ce coulis était conservé dans une jarre à goulot étroit et recouvert d’une couche d’huile d’olive. Autre aliment qui subit un début de conserve : l’olive. C’est la méthode de l’olive à la picholine qui est d’abord mise à macérer dans une lessive de cendre puis conservée ensuite, jusqu’à consommation dans de l’eau salée4.
Dès le XVIe siècle, les champignons deviennent la nourriture quasi exclusive au cours de l’automne4. Ils suscitent encore méfiance car ils sont, le plus souvent, frits dans l’huile avec une pousse de poirier pour leur « faire perdre leur malignité ». Les escargots restent un mets apprécié. Ils sont cueillis lors des moissons. Un texte de 1602 indique qu’un bon cueilleur, en Camargue, peut se faire 3 000 écus en une saison. Ils sont accommodés, après avoir jeuné, dans un bouillon de cuisson où ont été mis du fenouil, de la menthe sauvage, et des herbes aromatiques. Ils se consomment alors accompagnés d’un aïoli avec des pommes de terre et des carottes5.
Le paysan provençal était alors connu pour être grand amateur de petits oiseaux. Il les chassait soit au poste, 4 000 ont été dénombrés à la fin du XVIIIe siècle, soit à l’agachon dans une borie spécialement aménagée, soit à la pipée, en imitant dans un sifflet spécial de cri de l’oiseau, soit à l’appeau avec un oiseau en cage ou empaillé. Toutes les espèces étaient chassées : tourterelle, perdrix, grive, merle, caille, sarcelle, macreuse, canard, pluvier, courlis, héron, charlot5.
La chasse au lapin, lièvre et autre sanglier était moins courue, car imposée de forts droits seigneuriaux. Il n’en allait pas de même pour la pêche qui, tant en mer qu’en fleuve ou rivière navigables, était libre. L’abondance des prises obligea à inventer une « confiture de poisson », dont la poutargue de Martigues et le caviar d’Arles restent les témoins6.
Autre type de conservation avec la moutounesse, qui permettait de conserver la viande des ovins blessés par chutes, par attaque de loups, ou encore atteints de tournis dans les alpages ou durant la transhumance : le mouton abattu était écorché et désossé ; sa chair découpée, mise à plat sur la peau, généreusement salée, puis la peau était repliée et le tout fortement comprimé pendant un mois au bout duquel la viande, déballée, était mise à sécher au soleil avant d’être fumée7